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joindra pas sa force à la force du peuple pour transformer la société, assurer le droit et le bonheur de tous ? C’est à la réhabilitation du travail, rétabli dans le droit politique et dans la possession des richesses créées par lui, que L’Ange convie, dès 1790, le héros de sa pensée, le sauveur inconnu que des générations de socialistes attendront dans un mystique espoir.

« Ne croyez pas cependant que cette loi financière et corruptrice les rende incapables de toute vertu, de tout noble essor. Que le héros philantrope paraisse. Qu’il les ramène à eux-mêmes, à la dignité de l’homme… La révolution allait être salutaire ; un renversement des idées l’a pestiférée ; par le plus affreux abus des richesses on a métamorphosé le souverain ; on l’a constitué de membres paralysés, citoyens inactifs, de membres sensibles, mais sans volonté, citoyens passifs, de membres actifs mais enchaînés par la loi de l’élection, de membres nobles mais indélibérants ; de membres arbitres enfin, mais en petit nombre, et dépendant d’un membre impulsif ou roi qui transmet, impulse à son gré leur volonté dans l’assemblage de tous les membres.

« Ah ! comme vous voilà lotis, logés, nourris, dressés caninement (ce sont les gardes nationales lyonnaises, toujours en mouvement pour rétablir « l’ordre » que L’Ange fait interpeller ainsi par le héros philanthrope) et chargés d’armes, de poudre et de plomb au double de votre poids personnel ; vous raidissant contre toutes les intempéries de l’air, faisant sentinelle, veillant jour et nuit à la sûreté de vos ennemis (les nobles dont les paysans menaçaient les châteaux), accourant de cent et de deux cents lieues et de plus, pour les rassurer lorsque la moindre chose les inquiète, lorsqu’à la moindre rumeur la conscience de leur iniquité les épouvante, et ne cessant de ranimer leur audace oppressive que lorsque, excédés de fatigue, vous succombez à la rigueur vengeresse des saisons ou à la sanglante résistance des hommes libres !Vous êtes des hommes ; employez donc votre force comme il convient à votre noble caractère, soyez les héros de l’humanité… Vous avez juré d’être fidèles à la nation, c’est-à-dire à vous-mêmes. »

C’est l’appel à la bourgeoisie, dépouillant son esprit de classe et revêtant l’esprit d’humanité. Et voici l’appel au roi en vue d’un partage de toute la richesse entre la royauté et le peuple.

« La vérité se découvre et nous voyons clairement que l’existence de l’homme est le seul titre au droit de cité ; nous voyons clairement que l’impôt au contraire (comme condition de l’électorat et de l’éligibilité) est un titre absolument faux à l’égard de ceux qui s’en prévalent contre nous. »

Cet impôt, en effet, payé par les citoyens les plus aisés, et qui leur donne le droit exclusif de vote, ne représente pour eux ni un sacrifice, ni une privation, car ils le prélèvent sur le travail :

« Sire, celui qui paye la valeur locale de trois journées de travail, de dix ou de plus, jeûne-t-il ? Le loge-t-on gratis pendant trois ou dix jours et plus ?