La démonstration est forte. Il est certain que proclamer le droit de tout homme et priver ensuite du droit politique une partie des hommes, reconnaître l’admissibilité de tous à tous les emplois, et refuser ensuite l’emploi souverain, celui de nommer les législateurs, et de faire la loi, à des millions de citoyens, c’est une contradiction intenable. La Déclaration des Droits de l’homme conduisait nécessairement à la démocratie, et cette démocratie, L’Ange l’aurait voulue la plus large, la plus directe possible. C’est le gouvernement direct, la législation directe par le peuple qu’il désirait, et il avait indiqué déjà, dans un opuscule paru la veille de la Révolution, le moyen pratique de constater, dans toutes les questions importantes, la volonté individuelle de tous les citoyens. Quelle colère de voir le peuple privé, non plus seulement de ce droit direct de législation, mais du droit de représentation ! Et quelle fière revendication de la dignité du pauvre !
« Je n’entreprendrai point, dit-il, de peindre la douleur profonde dont cette privation nous affecte : vous en trouverez une idée exprimée dans la pétition illégale des domestiques, qui sut émouvoir les entrailles de l’Assemblée nationale. Ah ! si l’on eût suivi une marche entièrement libre de préjugé ; si l’on eût considéré le saint respect pour la propriété d’autrui que l’homme pauvre manifeste quand il se dévoue à gagner le superflu du maître au prix de son corps ; si l’on eût considéré que le riche contracte une dette sacrée envers le pauvre dont il se fait servir, que le titre de créancier relève celui de valet, que le titre de débiteur ravale celui de maître, que dans leur convention le maître et le valet vont de pair, et qu’au moral leur ressemblance a passé en proverbe, l’inconséquence, les ironiques persuasions, les subtilités, les sophismes captieux finement expliqués pour adoucir leurs regrets ulcérants n’auraient point obscurci la majesté du peuple français qui brillait d’un pur éclat dans la Déclaration des Droits de l’homme. »
Ce ne sont plus les frivoles impertinences de Figaro : c’est d’un accent sérieux et profond que L’Ange, constituant le valet à l’état de créancier du maître, lui assure la primauté. Il n’élude point la difficulté, il n’atténue pas le problème. Lui, le peintre, l’artisan aisé et évidemment cultivé, il ne sépare pas la cause des artisans pauvres de celle des domestiques, des serviteurs à gages. Pour tous, même pour ceux qui semblent dans une condition dépendante et abaissée, il réclame la plénitude du droit :
« Mais que vois-je ? et vos fronts, Messieurs, s’obscurcissent aussi ; le sentiment de l’orgueil s’irrite en vous ; l’orgueil, toujours injuste, vous peint la condition servile des serviteurs à gages comme trop abjecte pour être compatible avec la dignité de citoyen, et vous applaudissez à la loi qui les chasse, qui les met à la porte de la société, qui les confond avec les animaux domestiques irraisonnables.
« Hé bien ! mes frères, c’est pourtant à ces gens-là que la loi nous assimile, et ce n’est point de cette assimilation là que nous nous plaignons. »