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À la Bibliothèque Nationale, sous le nom de Ange, absolument rien. J’ai fait part de ma curiosité et de ma détresse à M. Charléty, professeur d’histoire à l’Université de Lyon, qui a fait sur la Révolution de si pénétrantes études ; il m’a mis en mains la clef des recherches. Ce n’est pas Ange, c’est L’Ange qui est le nom du Lyonnais : c’est le nom de L’Ange que portent toutes ses brochures, et c’est sous le nom de L’Ange que j’en ai retrouvé quelques-unes à la Bibliothèque Nationale. Ou plutôt son vrai nom est très probablement Lange. Il semble bien en effet qu’il soit d’origine allemande. De son interrogatoire il résulte, suivant des notes que m’a communiquées M. Charléty, qu’il était né à Kehl, qu’il avait été élevé à Munster et qu’il était à seize ans venu à Paris. La Bibliothèque Nationale n’a pas malheureusement la brochure de 1793, celle que Michelet a vue et où L’Ange exposait tout son système pour assurer « la félicité publique ». Elle n’est pas non plus dans les bibliothèques lyonnaises, mais M. Charléty ne désespère point de la trouver dans les collections privées. Ce serait une grande bonne fortune pour l’histoire du socialisme et de la démocratie. Mais il en existe un bref résumé dans un catalogue bibliographique.

Michelet l’a-t-il eue réellement en mains ? On en pourrait douter à voir l’erreur qu’il commet sur le nom de L’Ange : peut-être est-ce par la tradition qu’il a été averti de la propagande « sociétaire » que L’Ange faisait à Lyon en 1793, à une date où Fourier lui-même, âgé de vingt-un ans, s’y était établi. Mais ce qui est tout à fait remarquable, et ce qui ressort avec éclat des brochures de L’Ange que j’ai pu étudier, c’est qu’il n’a pas attendu les grandes commotions d’idées de 1793 pour affirmer d’abord une pensée socialiste, et pour la préciser ensuite en des formes toutes voisines du fouriérisme. De 1790 à 1792 sa propagande s’étend et s’anime, et ainsi, c’est par des nœuds multiples que la pensée fouriériste se rattache aux moments divers de la Révolution.

Il y a dans la pensée de L’Ange trois mouvements successifs correspondant à des crises politiques et sociales de la Révolution. D’abord, c’est la contradiction entre la Déclaration des Droits de l’homme et le système électoral oligarchique et censitaire établi par la Constituante qui révolte sa conscience et qui l’induit à poser en termes hardis le problème de la propriété. En second lieu, la crise universelle des prix et des subsistances, l’évident désordre du mercantilisme, qui va s’aggravant du printemps à l’automne de 1792, le conduisent à préciser un plan d’organisation nouvelle et d’universelle association destiné surtout à pourvoir à l’approvisionnement du pays. Enfin, en 1793, sous l’action de la grande crise lyonnaise, il élargit sa pensée jusqu’à la refonte totale du système social.

Il fait paraître à Lyon, en 1790, à l’imprimerie de Louis Cutty, les Plaintes et représentations d’un citoyen décrété passif aux citoyens décrétés actifs. C’est d’un bel accent à la fois véhément et fraternel, audacieux et tendre.