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son de 6 livres 3 sous la paire. Or, dès l’été de 1792, les fournisseurs avaient, à raison du haut prix de la matière première, majoré sensiblement les prix : il est donc très probable que le prix de 4 livres 10 sous indiqué pour la paire de souliers par le peuple d’Eure-et-Loir représentait, le prix de 1790. De même, dans le tableau de la viande fraîche et salée, dressé en conformité de la loi du maximum, et portant cette indication : « avec les prix en 1790, augmentés du tiers, » je relève pour la viande fraîche de bœuf, en Eure-et-Loir, la somme de 10 livres, et, pour la viande fraîche de vache, 9 livres ; dans l’Eure, 8 livres pour certains districts, 10 livres et 8 livres pour d’autres. C’est un résultat sensiblement voisin de celui qu’on obtient en élevant d’un tiers le prix de 5 livres marqué pour le bœuf dans le tableau illégal imposé à la signature de Birotteau. En revenant ainsi tout simplement aux prix de 1790, alors que l’assignat avait baissé, le peuple de l’Eure et de l’Eure-et-Loir s’assurait en effet les denrées à un prix réellement inférieur à celui de 1790. Il est vrai que par la baisse de l’assignat, les salaires, s’ils étaient payés en papier, subissaient aussi une réduction.

Il ne semble pas qu’au moment où les commissaires de la Convention allèrent dans ces régions, les salaires y eussent déjà bénéficié d’un relèvement proportionné à la baisse de l’assignat et à la hausse générale des denrées. C’est même là une des causes principales de l’agitation. « La misère est grande, disent les délégués de Loir-et-Cher ; les blés, les vins, sont à un prix excessif ». Et Lecointe-Puyraveau et Maure disent que c’est moins encore à la cherté du blé et du pain, qui selon eux n’est pas très grande en ces départements, qu’à l’exiguïté des salaires, qu’il faut attribuer le mouvement. « Nous devons à la vérité, dit Lecointe, de dire que les hommes opulents abusent de la faculté de faire faire leurs ouvrages à un prix trop modique. » Maure dit : « Les attroupés observent que leur journée de travail n’est que de 20 sols et qu’ils ne peuvent obtenir davantage. »

Évidemment, la lutte était engagée un peu partout et avec des fortunes diverses autour de la question des salaires. Les ouvriers, les prolétaires n’aboutissaient qu’à des succès partiels et très disputés. De là, dans toute cette région de grandes fermes où la proportion des salariés était très forte, l’âpreté du combat. La lutte prenait-elle pour tous ces ouvriers ruraux une forme systématique ? Commençaient-ils à demander une réforme générale du système social ? A entendre les députations des corps administratifs, à prendre à la lettre les récits des commissaires de la Convention, il semblerait que la loi agraire était partout prêchée dans les groupes. Mais ce mot, dans les polémiques des partis, perdait peu à peu sa signification exacte. Il ne désignait plus le partage des terres, la distribution de la propriété. Il ne désignait plus que l’ensemble des mesures par lesquelles le droit de la propriété était réglé et sa puissance limitée. C’est ainsi que les commissaires de la Convention qualifient de loi agraire la limitation légale du montant des baux. Les enne-