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gion catholique » passait à la Convention de ce même département de l’Eure où les troubles avaient été les plus vifs.

Mais, malgré tout, ce qui reste, ce qu’il y a au fond du mouvement d’octobre et de novembre, c’est bien une protestation populaire et prolétarienne contre le haut prix de la vie. C’est une sorte d’agitation de classe ayant ses principes, ses formules et sa tactique. On a vu avec quelle brutalité, les pauvres ouvriers ruraux opposent à la « bourgeoisie » les « travailleurs ».

Les administrateurs des départements, les membres de la Convention affectent de croire que c’est sous le coup de la menace que se formaient et se grossissaient les puissantes colonnes qui allaient méthodiquement taxer les denrées sur les marchés. Visiblement, au contraire, le mouvement est spontané. La députation des corps administratifs du Loir-et-Cher, admise à la barre le 26 novembre, dit ceci :

« L’insurrection est partie du département de la Sarthe, de la forêt de Montmirail. Le rassemblement a forcé les ouvriers de la verrerie de Montmirail à se porter avec eux à Montdoubleau, où ils ont taxé le blé, et obligé les habitants et les corps constitués à les accompagner à Saint-Calais. De là ils se sont rendus à Vendôme, le 23 de ce mois, au nombre de 3,000, ayant à leur tête 300 hommes à cheval. Ils ont commencé par annoncer qu’ils ne venaient exercer aucune violence, mais taxer le blé et les autres denrées. Ils ont été logés chez les citoyens, ils apportaient du pain pour ne pas affamer la ville où ils n’étaient pas attendus ; ils ne demandaient que le couvert et de l’eau. Ils ont effectivement taxé le blé à 21 deniers la livre, et annoncé qu’ils iraient samedi prochain à Blois, pour l’y fixer au même prix, et que si les habitants de Vendôme ne les y suivaient pas, ils mettraient le feu à la ville. Il est presque certain que le rassemblement qui arriverait vendredi au soir à Blois ne serait pas moins de 12 ou 15.000 hommes. »

Et les administrateurs bourgeois de Loir-et-Cher, débordés par ce mouvement, préoccupés d’obtenir au plus vite des secours de la Convention, cherchent à l’effrayer par des nouvelles sinistres :

« Voilà les faits : il en résulte que dans plusieurs parties de ces départements les citoyens sont forcés de se faire une nourriture de son mêlé avec des choux et des pommes de terre. Une malheureuse femme de la paroisse de l’Hôpital n’ayant pu avoir de grains pour faire son pain, a égorgé son enfant pour ne pas le voir mourir et s’est pendue après. (Long mouvement d’horreur.) »

Mais, quoi qu’il en soit de ce fait divers sensationnel et assez grossièrement mélodramatique, comment imaginer que des hommes qui procédaient avec tant de prudence et d’ordre, qui portaient eux-mêmes leur pain et se contentaient de demander un peu d’eau, avaient provoqué des paniques folles ? Comment croire surtout qu’ils avaient besoin d’user de violence pour entraîner les verriers de Montmirail à protester avec eux contre le prix démesuré