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fermiers. Et le service public d’approvisionnement qu’il réclame, il entend que ce soit le peuple lui-même qui l’administre par des élus directs. C’est la démocratie populaire qui, après avoir au Dix Août forcé les portes de la cité politique, cherche maintenant à pénétrer dans l’administration des grands intérêts économiques.

Dans la Somme, dans l’Aisne, dans l’Eure, l’Eure-et-Loir, la Sarthe, le Loir-et-Cher, le Loiret, l’agitation fut vive en octobre et en novembre. Le peuple ne se contentait pas d’arrêter les convois de blé. D’un mouvement spontané il procédait à la taxation des denrées. Les Conventionnels se plaisaient à répéter qu’il y avait là une manœuvre contre-révolutionnaire. Il est fort probable, en effet, que le clergé cherchait à exploiter la souffrance momentanée du peuple, à lier la cause de la religion à la cause des pauvres. Il fanatisait le peuple contre la Convention, accusée d’affamer le pays et de le déchristianiser, de lui enlever le « pain de l’âme » et le pain du corps.

Les trois commissaires à la Convention, Lecointe-Puyraveau, Birotteau et Maure, envoyés en Eure-et-Loir, tentent de donner au mouvement, dans leurs explications verbales du 30 novembre, une couleur à la fois « anarchiste » et contre-révolutionnaire.

« Parmi les reproches que nous avons entendus, dit Lecointe-Puyraveau, on parlait beaucoup de prêtres et de religion. Une motion faite au sein de la Convention (celle de Cambon sur la suppression du budget des cultes), était connue : on voulait nous en punir. On a préludé avec autant d’audace que d’assurance devant nous à une loi agraire. Un homme couvert d’un uniforme national a demandé que tous les baux fussent diminués par un décret ; on n’a pas craint de dire que ça irait jusqu’à Paris et que cette Convention, qui ne voulait plus de prêtres et qui volait les deniers du peuple, le payerait bien. »

Birotteau ajoute :

« En vain nous observâmes que nous n’avions pas le droit de taxer les denrées. Ce refus allait nous coûter la vie. Ils me répétaient sans cesse que la Chambre de Paris était l’ennemie du peuple ; qu’elle allait perdre la France, que bientôt ils se rendraient ici pour la mettre à la raison ; que c’était une coquinerie que d’avoir supprimé le culte catholique et la contribution mobilière. Vous voyez, citoyens, combien il est dangereux d’énoncer même de pareilles propositions. Les attroupés ajoutaient que nous étions tous riches, que nous avions pillé le trésor national. Je les dissuadai, en leur détaillant le mode de comptabilité. Des curés, des prêtres étaient et parlaient au milieu de l’attroupement. Ils étaient les plus acharnés contre nous et portaient la parole au nom du peuple. Tous les principes de la loi agraire ont été mis en avant ; on disait que les bourgeois avaient assez joui, que c’était le tour des pauvres travailleurs. Ils ajoutaient qu’ils voulaient leurs prêtres et leurs églises ; qu’eux seuls feraient bientôt la loi. J’ai reconnu parmi les furieux un citoyen