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faire payer les fermages en grains ; et enfin que nul ne pourra être, à la fois, meunier et fermier. Remettez ensuite le soin d’approvisionner chaque partie de la République entre les mains d’une administration centrale, choisie par le peuple, et vous verrez que l’abondance des grains et la juste proportion de leur prix avec celui de la journée de travail rendra la tranquillité, le bonheur et la vie à tous les citoyens. »

C’est un vaste plan très systématique et fortement conçu, Il procède de deux idées essentielles. La première, dérivée des théories de Turgot, d’Adam Smith et de Necker sur le salaire, est que les ouvriers sont toujours payés au plus bas, qu’ils ne peuvent attendre et se défendre, qu’ils se font les uns aux autres une concurrence presque illimitée, et que, par conséquent, la baisse du salaire déterminée par cette concurrence ne s’arrête qu’au point où s’arrêterait la vie elle-même, où la force de travail défaillirait. Si donc les spéculateurs, les capitalistes, parviennent encore par l’accaparement du blé à en hausser soudain le prix, le salaire tombe du coup au-dessous même du niveau vital et la loi d’airain s’aiguise en un glaive de famine et de meurtre.

Dès lors, et c’est la seconde idée maîtresse des pétitionnaires, l’État a le droit et le devoir d’intervenir pour empêcher le peuple ouvrier de tomber au-dessous de ce niveau vital. Il doit assurer le juste rapport du salaire au prix du grain, et en fixant un maximum au prix des grains, assurer en fait et indirectement un minimum de salaire. Pour maintenir dans des limites équitables le prix du blé, pour qu’il ne dépasse pas le niveau marqué par les frais de culture et le bénéfice honnête du cultivateur, il faut d’abord taxer, en effet, les grains. Il faut ensuite en prévenir l’accaparement à la source même, c’est-à-dire à la production, en divisant le plus possible les fermes, en empêchant la concentration des propriétés et des fermages.

C’est ce qu’on peut appeler, non pas la loi agraire des propriétés, mais la loi agraire des fermages. Plus nombreux, et obligés d’ailleurs de vendre leurs grains pour s’acquitter de leurs fermages qu’ils ne pourraient plus, selon le projet des pétitionnaires, acquitter en grains, les fermiers se feraient concurrence sur les marchés, et cette concurrence des fermiers, accrue et stimulée par des dispositions législatives multiples, conspirerait avec la taxe pour maintenir les blés à un prix modéré.

Ce sont les idées les plus hardies des cahiers paysans sur la division des fermes, sur l’organisation d’un service public d’approvisionnement, qui, après avoir été amorties et obscurcies par la bourgeoisie des villes, se rallument maintenant et jettent sur toute la Révolution une ardente lueur. Le peuple commence à prendre conscience de lui-même, à formuler avec une vigueur systématique des principes dont l’application ferait de l’État le gardien du droit populaire. Il commence à s’opposer comme classe non plus à la noblesse terrorisée ou émigrée, non plus au clergé exproprié, mais à la minorité des capitalistes, des grands propriétaires fonciers d’origine bourgeoise et des grands