Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/326

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Les inconvénients des variations dans les prix plus promptes et plus étendues que celles des salaires n’étaient pas sans remède ; et si l’activité qui devait naître de la Révolution n’était point arrêtée par ces inquiétudes factices, le mal serait déjà réparé, et l’équilibre rétabli avec avantage. »

Mais le peuple n’attendait point cette sorte de rétablissement naturel et lent de l’équilibre, qu’espérait l’optimisme révolutionnaire de Condorcet. Le peuple agissait de deux façons : en refusant son travail aux anciens prix, et en essayant d’imposer, soit à la Convention, soit directement aux marchands, la taxe des denrées. Hausser les salaires par une revendication énergique et au besoin par la grève, limiter par la loi ou par la force le prix des denrées, voilà le double effort des travailleurs en cette période. Lorsque la Législative, en janvier 1792, reçut la délégation des Gobelins protestant contre le renchérissement des denrées, les pétitionnaires demandèrent bien des mesures contre les « accapareurs » ; mais ils n’osèrent pas formuler l’idée d’une taxation légale. Maintenant, c’est cette idée qu’une députation du corps électoral de Seine-et-Oise formule devant la Convention en paroles précises et hardies. L’audace du prolétariat a grandi. Il se sent, en quelque sorte, plus près de la loi, et il songe à la faire servir à sa défense.

« Citoyens, disent les délégués dans la séance du 19 novembre, le premier principe que nous devons vous exposer, est celui-ci : La liberté du commerce des grains est incompatible avec l’existence de notre République. De quoi est composée notre République ? D’un petit nombre de capitalistes et d’un grand nombre de pauvres. Qui fait le commerce des grains ? Ce petit nombre de capitalistes. Pourquoi fait-il le commerce ? Pour s’enrichir. Comment peut-il s’enrichir ? Par la hausse du prix des grains, dans la revente qu’il en fait au consommateur.

« Mais vous remarquerez aussi que cette classe de capitalistes et propriétaires, par la liberté illimitée maîtresse du prix des grains, l’est aussi de la fixation de la journée du travail ; car chaque fois qu’il est besoin d’un ouvrier, il s’en présente dix et le riche a le choix ; or, ce choix, il le porte sur celui qui exige le moins : il lui fixe le prix, et l’ouvrier se soumet à la loi, parce qu’il a besoin de pain, et que ce besoin ne se remet pas pour lui. Ce petit nombre de capitalistes et de propriétaires est donc maître du prix de la journée de travail. La liberté illimitée du commerce des grains le rend également maître de la subsistance de première nécessité. Le sordide intérêt ne leur laisse pas calculer d’autre loi que celle de leur avidité. Il en résulte une disproportion effrayante entre le prix de la journée du travail et le prix de la denrée de première nécessité. La journée est à 16 et 18 sols, tandis que le blé est à 26 livres le setier pesant de 260 à 270 livres, poids de 16 onces à la livre. La journée ne suffit donc point pour vivre. De là, sort nécessairement l’oppression de tout individu qui vit du travail de ses mains.

« Mais si cette classe qui vit du travail de ses mains est la plus considérable,