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baisse des assignats ; et c’est seulement par contre-coup que la hausse de l’argent s’était étendue peu à peu aux autres marchandises. Condorcet se demande s’il ne conviendrait pas de mettre en communication directe et exclusive les assignats et les denrées par la suppression de la monnaie de métal, instrument décisif de l’agio. Par là, l’équilibre entre les salaires et le prix des denrées serait rétabli sans que la loi intervint dans les transactions et dans la détermination des prix.

Dans la Chronique de Paris, du 28 novembre, il dit :

« La Convention nationale sait trop bien que le blé appartient à celui qui l’a semé, et que dans une République unique le libre transfert des subsistances d’un lieu de son territoire à l’autre, est une condition nécessaire du pacte social. On ne sait pas pourquoi, d’ailleurs, si l’équilibre est rompu entre la valeur réelle des subsistances et les moyens d’en acheter, on s’obstine à préférer le parti dangereux de faire baisser le prix des subsistances, au parti beaucoup plus simple d’augmenter ces moyens. Si, dans les achats et les fournitures extraordinaires de graines le gouvernement cherchait à maintenir les mouvements naturels du commerce au lieu de les déranger, s’il faisait servir la masse considérable des salaires dont il dispose, à maintenir ce rapport entre eux et les besoins que tant de causes altèrent à chaque instant ; si les marchés des villes étaient également à l’abri et du pillage et des taxations arbitraires ; si les chemins et les rivières offraient une entière sûreté dans le moment du transport, alors on verrait les granges se vider successivement. »

L’État faisait, en effet, pour la marine et les armées, des achats immenses ; il payait aux soldats, aux matelots, aux ouvriers des arsenaux et de certaines manufactures, des salaires considérables. Condorcet aurait voulu qu’en ajustant ces salaires au prix accru des denrées, il donnât le signal d’un relèvement universel des prix du travail. Mais le 9 décembre, il paraît compter surtout sur les effets de l’activité économique et de la libre concurrence.

« Comment voulez-vous que la concurrence des travaux élève les salaires, si les citoyens riches sont forcés, par ces mêmes bruits (alarmants) à conserver, comme ressources pour un moment de crise, les sommes qu’ils emploieraient à l’amélioration de leurs propriétés, à des acquisitions mobilières ? Peuvent-ils se croire assurés de jouir de ces améliorations, de ces acquisitions ? Ils remettent donc ces dépenses à un autre temps, et en attendant, le peuple souffre de cette stagnation funeste.

« La Révolution, par un changement répandu dans la distribution des richesses ecclésiastiques et féodales, par l’émigration volontaire ou forcée d’un grand nombre de propriétaires, avait nécessairement déplacé la distribution des salaires ; la création d’un papier-monnaie avait dû changer le rapport de ces mêmes salaires avec le prix des denrées ; mais ce changement dans la distribution des richesses était favorable en lui même à la prospérité publique.