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journalier ne peut plus l’atteindre ; il ne peut plus fournir à ses premiers besoins. »

Ainsi, il ressort des paroles de Beffroy que le peuple n’a pas rétabli l’équilibre entre le salaire et le prix du blé, mais qu’il lutte pour le rétablir. Les manouvriers refusent leurs bras aux conditions anciennes, et comment devant cette grève des prolétaires ruraux les propriétaires et fermiers ne seraient-ils point obligés de faire de larges concessions ? Pour pouvoir dominer le marché et profiter des occasions, encore faut-il qu’ils aient leurs grains disponibles. Il faut donc qu’ils fassent procéder à l’opération du battage, et devant le refus de travail, ils seront bien réduits à hausser les salaires.

Isoré, parlant de la longanimité du peuple, dit :

« Ne vous imaginez pas que l’indigent veut avoir le blé à très grand marché, quoiqu’il souffre de n’être pas payé de ses sueurs proportionnellement au prix des denrées ; il sent, comme vous, que la grande quantité de numéraire qui circule tiendra tout ce qui est nécessaire à sa vie à un taux extraordinaire. »

Oui, mais quelle que soit la résignation du peuple, il se dit nécessairement que cette grande quantité de numéraire s’applique au prix de son travail comme au prix de toutes les denrées, et que son salaire peut et doit participer à la progression générale. Serre dit, le 2 décembre :

« Quand toutes les marchandises augmentent, la rétribution de l’industrie du journalier s’élève par gradation, et l’équilibre s’établit presque aussitôt ; en un mot, le prix des grains est presque toujours le régulateur ou le chronomètre de la hausse ou de la baisse des prix des autres marchandises. Je ne sais d’ailleurs si je m’abuse ou si ma mémoire me trompe, mais quand j’ai demandé au marchand de fer pourquoi il vendait son fer 16 sous la livre au lieu de 8, au cordonnier pourquoi il vend ses souliers 9 et 10 livres au lieu de 5 et de 6, au tailleur, etc., etc., tous me répondent que le blé se vend le double des années précédentes, et que les ouvriers coûtent le double de ce qu’ils gagnaient autrefois. »

Et Serre insiste sur l’injustice qu’il y aurait à taxer le blé tout « en laissant exister les salaires et les marchandises aux taux où les circonstances les ont élevés ». Et pas une voix dans la Convention ne s’élève pour contester le fait. Pas un député, pas un journaliste ne réplique que les salaires sont restés immuables. Et voici, au contraire, ce que dit Dorniez dans son Opinion imprimée du 8 décembre :

« Vous devez établir un juste équilibre entre les besoins de l’artisan et ses ressources ; il ne faut pas que le cultivateur l’opprime, ni qu’il le soit par l’artisan qui a bien su et justement faire augmenter sa main-d’œuvre à proportion de toutes les marchandises. Personne n’ignore que ce qui valait 6 livres vaut 9 livres, et que la journée de travail qui était à 20 sous est à 30 sous et ainsi de suite. »