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puissent leur être chers, si la rage n’a pas encore étouffé dans leur cœur la voix de la nature, arrête qu’il sera fait une adresse à l’Assemblée nationale pour l’inviter à faire mettre dans un lieu de sûreté les femmes et les enfants des émigrés. »

Lieu de sûreté est une expression un peu sinistre. La Commune ne se borne pas comme la Législative à consigner les femmes et les enfants des émigrés dans leurs municipalités respectives et à les immobiliser ainsi. Elle veut qu’ils soient rassemblés, c’est-à-dire, en somme, emprisonnés et tenus sous le couteau. Sera-t-il possible de régler, et de soumettre à des formes légales, à je ne sais quelles garanties restrictives, les explosions de fureur qui se préparent ?

L’Assemblée, en la même séance du 15 où Robespierre avait formulé le vœu de la Commune, y déféra en partie. Elle supprima sur un rapport de Brissot, les lenteurs d’un recours en cassation. « L’Assemblée nationale, considérant que les délits commis dans la journée du 10 août sont en trop grand nombre pour que les jugements auxquels ils donnent lieu puissent produire l’effet qu’en attend la société, qui est celui de l’exemple, si ces jugements restaient sujets à la cassation.

« Considérant que déjà dans l’institution d’une cour martiale, destinée à juger les délits commis dans l’expédition de Mons et de Tournay, elle a, par les mêmes moyens, décrété que les jugements qui seraient rendus ne seraient sujets ni à l’appel ni à la cassation :

« Décrète que les jugements qui interviendront à l’occasion des délits commis dans la journée du 10 août, ou des délits relatifs à cette journée, ne seront point sujets à cassation et qu’en conséquence les condamnés ne pourront point se pourvoir devant le tribunal de cassation. »

Brissot et Robespierre : on pourrait croire, en voyant Brissot faire un rapport favorable, en un point important, à la pétition présentée par son rival, qu’en cette période de crise extrême les deux hommes se sont rapprochés. Peut-être, s’ils avaient été d’accord pour assurer le fonctionnement énergique et rapide de la justice révolutionnaire et pour s’opposer en même temps à toute exécution populaire, peut-être auraient-ils épargné à la Révolution des scènes de tuerie. Mais, non : la rivalité aigre des deux hommes subsistait ; et même en ce point elle se marque. Robespierre avait demandé deux choses. Il avait demandé que le pourvoi en cassation fût supprimé, et cela Brissot, au nom de la commission des Douze, l’accordait. Il avait demandé en même temps qu’on ne se bornât pas à renouveler les jurés, que l’on renouvelât aussi les juges.

C’était logique, et puisqu’on créait un tribunal révolutionnaire destiné à une action rapide et exceptionnelle, il fallait le composer tout entier d’éléments nouveaux. Cela, la commission des Douze le refusait, et Brissot dans son journal se félicite misérablement d’avoir infligé, en ce point, un échec à