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n’ont que moitié de valeur, et la République perd 100 %. C’est pour détruire cet abus que votre Comité vous propose de décréter que les fermiers des biens nationaux payeront leurs baux en nature et que les graines et fourrages qui en proviendront seront employés à l’approvisionnement des armées. »

La Convention décréta : « Les fermiers, rentiers et débiteurs des biens des émigrés, de l’ordre de Malte, des princes possesseurs et généralement de tous les domaines invendus, situés en France, ou dans les pays actuellement occupés par les armées de la République, qui, d’après leurs contrats ou baux, sont obligés de payer en froment, méteil, seigle, avoine, foin, paille et légumes secs, l’entier montant ou partie de leurs fermages, rentes, etc., seront tenus de s’acquitter de la même manière qu’ils s’étaient obligés envers leurs bailleurs, dérogeant à cet égard à l’article 9 de la loi du 9 septembre 1791. »

Du coup les fermiers des émigrés ne pouvaient plus spéculer sur leurs grains. Mais aussi, ces grains étaient comme retirés du commerce proprement dit et de l’échange ; c’est à des gardes-magasins militaires qu’ils devaient être remis ; les produits des biens des émigrés étaient, pour ainsi dire, militarisés, réservés à l’entretien des armées ; et cette sorte de séquestre d’une importante quantité de blé au profit des subsistances militaires ne pouvait qu’ajouter aux tendances de hausse et tendre encore les ressorts de l’économie nationale. Ainsi, quels que fussent les mobiles des propriétaires et fermiers, qu’ils aient voulu retirer un intérêt plus élevé du capital plus grand engagé par eux dans l’achat du domaine d’Église, ou qu’ils aient été excités à la spéculation et entraînés à la demande de hauts prix par l’exemple des premiers marchés conclus par les grands fournisseurs militaires, ou encore que, fermiers des domaines des émigrés, ils se soient réservés le plus possible en vue de l’avenir, toujours une sorte d’appétit général de hausse se joignait à l’action des assignats et des grands achats militaires pour porter le blé et beaucoup de denrées à des prix presque violents, indice d’une situation violente et d’une tension générale des choses et des esprits.

La stabilité relative des prix qui s’était affirmée dans la routine de l’ancien régime finissant était bouleversée par le renouvellement universel, par les brusques déplacements de fortunes, par l’esprit de mouvement qui se communiquait à des forces économiques naguère immobilisées dans un sommeil d’Église. La riche proie de plusieurs milliards qui, avec les biens des émigrés, s’offrait brusquement aux ambitions, aux espérances et aux calculs, surexcitait aussi les pensées de spéculation.

Pour se mettre en état d’acheter le plus possible les domaines convoités, il fallait tirer le plus haut parti possible des domaines déjà possédés. Une flamme de convoitise courait dans les veines de la Révolution, et les prix s’enfiévraient comme les pensées ; la bourgeoisie était brûlante, et les cours des denrées, comme une sorte de thermomètre, montaient.

Si l’on ajoute à toutes ces causes de hausse la concurrence que se faisaient