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Amelot, administrateur de la Caisse de l’extraordinaire, envoie à la Convention, le 9 Janvier 1793, « l’état des versements faits à cette caisse, du produit des revenus des biens des émigrés, et de la vente de leur mobilier, pendant le mois de décembre dernier. Ce versement est de 1 021 698 livres, 1 sou, 3 deniers. » C’est encore un chiffre dérisoire, malgré l’appoint fourni par la vente du mobilier. Évidemment les fermiers se tapissaient, ajournaient le plus possible leurs paiements, et, pour cela, ajournaient le plus possible leurs ventes. Carra dit à la Convention le 9 janvier : « On vient de découvrir une des causes de la disette factice des grains. Les fermiers des émigrés n’étant pas forcés de verser le prix de leurs baux dans les caisses nationales ne vendent pas leur blé et attendent le renchérissement. Je demande : 1o que ces fermiers soient tenus de verser, dans deux mois au plus tard, le prix de leurs baux avec les arrérages dans les caisses nationales, sur des récépissés qui leur seront délivrés par les receveurs de ces caisses, à peine de vingt livres d’amendes sur chaque cent livres du prix de leurs baux… » Le résumé que fait le procès-verbal des paroles de Carra est évidemment trop sommaire et inexact. Il n’a pas pu dire, d’une manière aussi absolue, que les fermiers n’étaient pas tenus à verser le prix des baux dans les caisses nationales. Cela résultait nécessairement de la loi qui mettait les biens des émigrés sous la main de la nation et qui obligeait notamment les fermiers à déclarer aux municipalités les sommes échues ou à échoir dues par eux aux émigrés.

Il se peut qu’en l’absence d’une disposition explicite, plusieurs fermiers se soient bornés à tenir à la disposition de la nation le prix des baux sans en opérer en effet le versement. La Convention précisa. Mais, si on obligeait les fermiers à s’acquitter immédiatement de leurs baux, ils allaient naturellement s’acquitter en assignats, même quand leurs baux indiquaient le paiement en nature, car une loi de 1791 les avait autorisés à se libérer en monnaie ; or, l’assignat perdait beaucoup, et c’est la nation qui allait supporter cette perte.

D’autre part, la nation avait besoin, pour ses armées, de beaucoup de blé et de viande. Les armées, en les achetant, étaient obligées de tenir compte aux vendeurs de la perte subie par l’assignat ; et ainsi la baisse de l’assignat était officiellement proclamée et aggravée. C’est ce qui avait exaspéré Cambon dans les marchés passés avec Jacob Benjamin. C’est ce qui l’exaspérait dans les marchés de fournitures conclus par les armées. Pour parer au danger, Cambon proposa à la Convention, le 11 janvier, d’obliger tous les fermiers des biens nationaux, des biens d’émigrés comme des biens d’Église ou autres encore invendus, à s’acquitter de leurs baux en nature. « Les commissaires que vous avez envoyés à Strasbourg ont été frappés des abus qui règnent dans tout le département du Bas-Rhin. Ces abus sont causés par des assignats qui