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par l’arrêt des échanges, la hausse du blé et la baisse de l’assignat dont souffrait la Révolution ? Il ne pouvait guère y avoir là que quelques excentricités de haine, non une pratique étendue et capable de modifier le cours des choses. Ce qui est plus probable, c’est qu’un intérêt commun décidait propriétaires et fermiers à ajourner les opérations. Le fermier avait intérêt ou croyait avoir intérêt à retarder la vente de son blé afin de profiter plus largement du mouvement de hausse, peut-être aussi afin de donner à la valeur de l’assignat le temps de se fixer. Et les propriétaires n’étaient point pressés de recevoir leurs fermages qui, par le cours de l’assignat, subissaient une forte réduction.

C’est probablement cet accord spontané des propriétaires et des fermiers, accord fondé uniquement sur des raisons économiques, qu’Isoré transforme en un calcul contre-révolutionnaire des propriétaires.

Comment se conduisaient les fermiers des biens des émigrés, maintenant et depuis la loi de la Législative à la disposition de la nation ? Se prêtaient-ils au mouvement national des échanges ou retenaient-ils systématiquement les grains ? La question n’est pas indifférente, car elle porte sur un domaine immense. Roland avait demandé aux districts une statistique du nombre des émigrés et de la valeur de leurs biens.

« 200 de ces districts sur les 546 dont la République est composée n’ont fait aucune réponse ; les autres ont envoyé des états plus ou moins parfaits. J’en ai fait faire le dépouillement ; j’ai fait un capital aux immeubles estimés, mais suffisamment désignés par leur nature et leur étendue pour donner lieu à une estimation rapprochée ; et il en résulte que le nombre d’émigrés, compris dans les listes que j’ai sous les yeux, s’élève à 16 930 et que l’évaluation des immeubles séquestrés arrive à 2 760 541 592 livres.

« Si l’on veut maintenant faire la comparaison des districts qui n’ont pas envoyé des états, avec ceux dont nous avons les tableaux, et supposer que la proportion soit la même, nous dirons que la totalité des émigrés de la République est de 29 000 et que la valeur de leurs biens est de 4 800 000 000 livres (quatre milliards huit cents millions).

« Je dois faire observer à la Convention que si l’on suppose de l’exactitude dans le soin que les municipalités ont eu de former les listes des émigrés, possesseurs d’immeubles, elles n’ont pas également recueilli les noms de ceux qui ne possédaient rien. Le nombre de ceux-ci fut considérable, et ce n’est pas hasarder que de les porter à 40 000 au moins, de manière que la totalité des émigrés français serait de 70 000 à peu près.

« Quoique nous portions l’estimation des immeubles séquestrés à quatre milliards huit cent millions de livres, cependant tout ne sera pas bénéfice pour la République. Il faut distraire les dettes des émigrés, cet objet sera très considérable… Malgré ces inconvénients et ces réductions, je ne crains pas d’avancer que le produit des biens des émigrés parvenu dans les coffres de la