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domaine d’importantes dépenses d’aménagement. Laurent Lecointre dit dans l’Opinion et projet de décret que j’ai déjà cité :

« Les deux milliards cinq cents millions de biens nationaux, sur lesquels on a fait depuis deux ans plus de 500 millions de dépenses, car ces biens ont été vendus et revendus, démolis en partie et reconstruits pour d’autres usages… »

C’est donc l’intérêt d’un capital accru que devaient retrouver les nouveaux propriétaires, et comme ils étaient des hommes de combinaison et d’audace, ils essayaient, en ne vendant leurs grains que lentement, de tirer le plus grand parti possible des mouvements de prix déterminés par la baisse des assignats. La plupart d’entre eux pouvaient attendre. Ils n’avaient acheté que parce qu’ils avaient des avances supérieures aux premières annuités exigibles ; et quelle belle opération ce serait de payer une partie de la terre nouvellement acquise avec le prix exceptionnellement élevé de la récolte ! En tous cas, ils pouvaient attendre que l’assignat fût un peu consolidé, et ne pas s’exposer par une vente trop prompte de leur marchandise à la dépréciation croissante de la monnaie de papier.

Portiez, député de l’Oise, ne craint pas d’indiquer, le 8 décembre, que l’aisance plus grande du cultivateur le rend maître du marché, où il n’apporte plus le blé qu’à l’heure choisie par lui.

« Le laboureur bénit la Révolution qui l’a délivré de la gabelle, des dîmes, de la milice, etc., etc., et il n’acquitte pas ses contributions. Est-ce la négligence des percepteurs, l’ignorance des contribuables qu’on doit en accuser ? Je ne sais, mais l’État souffre ; le fermier, plus aisé, ne s’empresse pas de porter au marché, comme par le passé, pour réaliser les fonds avec lesquels il devait payer autrefois les termes du bail de son propriétaire : ses économies, le non-acquittement des contributions, la décharge des anciens impôts l’ont mis aujourd’hui en état d’attendre que le torrent des billets patriotiques soit écoulé. »

Aussi bien, selon Isoré (16 novembre), beaucoup de propriétaires s’abstiennent de presser leurs fermiers :

« Ne nous dissimulons point que beaucoup de propriétaires ci-devant nobles prêtent leurs fermages échus, pour que leurs fermiers gardent plutôt des blés que des assignats ; l’aristocratie bourgeoise se mêle aussi de cette perfidie ; joint à cela les fermiers aisés et les propriétaires avares qui font valoir. »

Quelle était l’étendue et quel était le sens exact du fait allégué par Isoré ? Il est malaisé de le savoir. Y avait-il vraiment des propriétaires, ci-devant nobles ou bourgeois aristocrates, qui ne pressaient point leurs fermiers d’acquitter les fermages afin que ceux-ci ne soient pas obligés de vendre leurs grains ? Poussaient-ils la passion et la combinaison politiques jusqu’à se priver momentanément eux-mêmes de leurs revenus pour aggraver,