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est la preuve et peut être appliqué à beaucoup d’autres districts. Là, les fermes avaient un prix apparent, bien au-dessous de leur valeur réelle. Les propriétaires et les fermiers agissaient ainsi pour se soustraire aux impositions qui avaient pour base le prix des baux, de façon qu’un domaine dont le propriétaire retirait réellement 1 000 livres n’était cependant porté qu’à 500 dans le bail à ferme. C’est sur ce prix, sur ce produit apparent, que les estimations pour les ventes nationales ont été faites. Il en résulte que les enchères ont toujours eu pour base cette évaluation infidèle et que les adjudications ont été faites à des prix analogues et fort au-dessous de la valeur réelle de l’immeuble vendu.

« Cette estimation erronée a donné lieu à des inconvénients plus graves : elle a réveillé la cupidité de cette classe de citoyens qui ne semblent respirer que pour faire des calculs d’intérêt et épier l’occasion de se procurer des bénéfices par tous les moyens possibles, per fas et nefas. De là, la coalition des enchérisseurs entre eux pour avoir les dépouilles nationales au prix le plus vil ; de là, ces scènes scandaleuses et quelquefois sanglantes, qui ont eu lieu dans plusieurs séances, lorsque des concurrents voulaient mettre des enchères sur celles de ces monopoleurs coalisés, de ces conspirateurs contre les intérêts de la République. »

Sans doute, mais il est impossible que cette fraude sur les baux ait été très générale et que par suite les bases d’évaluation pour les adjudications aient été souvent faussées. En fait, dans ces tranquilles années de 1790, 1791 et 1792, il y eut une concurrence assez animée entre les acheteurs, et les communes étaient intéressées, par la remise proportionnelle qui leur était faite, à assurer la loyauté des ventes. Au total, dans la plupart des départements, le prix de vente dépassa d’un quart le prix d’estimation, et si les acheteurs firent une bonne affaire parce que les baux d’Église étaient habituellement modérés, il n’en est pas moins vrai qu’ils avaient à retrouver l’intérêt d’un capital supérieur à celui que les baux d’Église représentaient. Ainsi s’expliquent ces curieuses paroles du journal de Prudhomme, qui sont si opposées à la thèse d’Avenel sur l’achat à vil prix des biens d’Église :

« Une seconde cause générale (de la cherté des denrées), quoiqu’elle tienne plus particulièrement aux subsistances, c’est le renchérissement des terres… Les biens nationaux ont été portés à un prix excessif ; la facilité des paiements, à termes très éloignés, a pu donner lieu à ces fortes enchères. Dès que les fonds nationaux eurent doublé de prix, il n’y eut point de marchandise, si vile qu’elle fût, qui ne doublât à son tour. Les acquéreurs de biens nationaux, qui outre cela payaient en contribution le cinquième du produit net, eurent leur recours sur les consommateurs et leur firent payer à la fois leur impôt annuel ainsi que l’intérêt de leur argent. » (no du 24 novembre au 1er décembre 1792.)

Ajoutez que la plupart de ces acquéreurs avaient fait sur leur nouveau