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de l’esprit public, et la croissante fierté des paysans affranchis, des prolétaires devenus citoyens actifs, ne propageaient pas jusque dans les campagnes l’habitude du pain blanc, symbole d’une vie supérieure.

« La consommation du blé, dit Creuzé-Latouche le 8 décembre, n’est pas la même dans tous les temps. Il est bien vrai que les hommes de travail qui habitent les villes se nourrissent principalement de pain, et qu’ils l’ont, dans tous les temps, à peu près de la même qualité ; mais les habitants de beaucoup de lieux stériles en froment et beaucoup de pauvres habitants des campagnes règlent le genre de leur nourriture et leurs consommations sur leurs ressources. Suivant le bon marché ou la cherté du blé, suivant l’abondance ou la rareté de cette denrée, ils mangent du pain plus ou moins blanc, ou plus ou moins noir ; du froment, ou du méteil, ou du seigle, ou de menus grains. Enfin, de grandes contrées consomment plus ou moins de blé de Turquie, de sarrazin, de châtaignes, de légumes et de pommes de terre ; ils en font même leur unique nourriture lorsque les prix des meilleurs grains s’éloignent trop de leurs facultés. »

Mais Creuzé-Latouche oublie de dire que la consommation du pur froment pouvait varier aussi selon le degré de culture civique des hommes. À ceux qui sentaient vivement le prix de l’égalité il n’était pas indifférent de manger le même pain que les classes riches, et sans doute ils s’y efforçaient. Il se trouve précisément que, en cette période, et par une singulière coïncidence, les grains pauvres font défaut. J’ai déjà cité ce que Roland dit à ce sujet dans son rapport du 9 janvier. Il y insiste dans son rapport du 28 en envoyant à la Convention l’état des demandes qui lui ont été adressées pour obtenir des secours en subsistances :

« L’Assemblée verra que ces demandes montent à plus de 4 500 000 quintaux de grains, et à 7 500 000 livres en argent, sur lesquelles j’ai déjà distribué 222 000 quintaux tant en blé qu’en farine, et 3 278 000 livres en avances pécuniaires.

« Cette masse effrayante de besoins est occasionnée par diverses causes : 1o les pluies continuelles de l’automne ont beaucoup endommagé les menus grains, tels que le maïs et le sarrazin qui sont dans plusieurs cantons de la République la principale nourriture de la classe indigente du peuple. »

Ainsi c’est aux grains pauvres que devait suppléer le blé envoyé par le gouvernement. Et la nécessité des choses semblait s’ajouter aux inspirations égalitaires de l’ordre nouveau pour élever la plus grande partie du peuple à la consommation du pain blanc ; avec la liberté entrait dans les habitudes du peuple un pain plus pur et plus noble. Ce n’est pas seulement pour donner plus de force aux soldats, c’est pour consacrer le relèvement de toute condition et l’universel ennoblissement civique que la Révolution éliminait le seigle de la nourriture de l’armée et lui donnait un pain délicat et fort. Et quand des nouvelles de l’armée parvenaient dans les villages, comment le