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apportés par Barbaroux, que la grande Assemblée saura entrer à fond, par la réglementation la plus stricte, par l’intervention la plus minutieuse, dans la vie et le travail de tous, pour assurer à l’énergie nationale son maximum de rendement. Mais une inquiétude était dans les esprits ; chacun se demandait : Qu’adviendra-t-il de la terre de France et de la récolte prochaine si tous les bras s’arment du fusil ? Les moissons trop lentement moissonnées ne seront-elles pas à la merci des orages ?

Mais la guerre ne prenait pas seulement les bras, c’est-à-dire l’espoir des récoltes prochaines, elle prenait dès maintenant, par de vastes achats, la récolte de l’an dernier. Roland écrit à la Convention le 28 janvier 1793 :

« Une des principales causes qui contribuent plus particulièrement à augmenter la pénurie des subsistances et surtout à en faire hausser le prix, c’est comme je l’ai déjà fait observer plusieurs fois à la Convention, celle qui résulte des achats que font faire les agents des vivres militaires et de la marine dans plusieurs départements. Je vois en effet, suivant un état particulier qui a été remis par eux au conseil exécutif provisoire le 17 de ce mois, que depuis environ deux mois et demi, ces agents ont commissionné plus de 800 000 quintaux de blé et 17 000 quintaux de farine dans 27 départements seulement, parmi lesquels il y en a quatorze où j’ai été obligé de faire parvenir à grands frais des subsistances. »

Sans doute les hommes enrôlés dans les armées auraient consommé du blé et de la viande, s’ils étaient demeurés dans leur commune. Mais d’abord beaucoup d’entre eux auraient consommé le produit du petit domaine sur lequel ils vivaient : en tout cas, les achats auraient été disséminés et lents. De plus, les citoyens auraient consommé sur place moins de viande et de froment qu’ils n’en consommaient aux armées. Cette immense mobilisation des hommes transforma les habitudes. Laurent Lecointre, dans une de ses opinions à la Convention, constate très justement :

« Plus de cinq cent mille individus qui ne mangeaient de la viande qu’un ou deux jours de la semaine, en mangent aujourd’hui tous les jours aux armées. » Ce que Lecointre dit à ce sujet le 23 septembre 1793 est vrai évidemment dès le début de la guerre. J’avais pensé de même, à priori, quand je cherchais à me rendre compte de la hausse prodigieuse du prix du blé, que le pain donné aux soldats de la République devait contenir plus de froment que le pain mêlé que mangeaient encore beaucoup de paysans. J’ai trouvé la confirmation de mon hypothèse dans un bref discours de Cambon du 3 novembre 1792 :

« Autre cause encore de renchérissement. Nous avons 600 000 hommes sous les armes. Nous avons voulu qu’ils fussent bien nourris, parce qu’ils combattent pour la liberté. On a défendu l’usage du seigle dans le pain. »

Ainsi le peuple, en passant aux armées de la Révolution, s’élevait au pain de pur froment. Je me demande d’ailleurs si les progrès de la Révolution et