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rent à cette cherté paradoxale du blé et du pain dans l’abondance des moissons.

Et tout d’abord l’action de l’assignat est incontestable. À mesure que l’assignat baisse, le prix des denrées, quoique d’un mouvement beaucoup moins rapide, doit hausser. Lecointre allègue, il est vrai, que la somme des assignats émis ne dépasse guère la somme du numéraire, augmentée des billets de la caisse d’escompte, qui circulait en 1788, et qu’il n’y a donc pas surabondance du signe. Mais d’abord il n’est nullement démontré que la monnaie de métal a disparu ; elle s’est immobilisée, elle a été réduite peu à peu à une sorte d’inaction monétaire, par la monnaie de papier ; mais elle subsiste toujours prête à agir, et ainsi la quantité du signe disponible est doublée. En second lieu, le mouvement d’émission à peu près continu auquel est condamnée la Révolution, en enlevant aux assignats toute limite un peu stable, semble leur enlever, en effet, toute limite. On ne sait pas s’il n’y aura pas demain une émission nouvelle, si la valeur de l’assignat ne baissera pas encore et, naturellement, les détenteurs de marchandises se couvrent, par la hausse de leurs prix, contre les risques de dépréciation que l’assignat reçu par eux en paiement aura à courir. De là, une tension fébrile et maladive des cours. De là, dans tout l’édifice économique, fondé sur des prévisions et des craintes, je ne sais quoi de factice et d’inquiétant. Et précisément parce que le blé est une denrée de première nécessité, précisément parce que cette denrée n’est pas exposée, comme les objets de luxe, aux vicissitudes des modes ou aux révolutions des rapports sociaux, son prix s’élève en proportion même de sa solidité.

Le blé est comme une valeur de premier ordre et de tout repos, à échanger contre des valeurs incertaines et dont la limite de décroissance n’est pas connue. Quoi d’étonnant que les propriétaires resserrent leur marchandise ou ne la livrent qu’à très haut prix !

Mais voici que sur ce marché déjà instable les achats de guerre exercent encore une action perturbatrice. La France se trouve soudain à l’état de nation armée ; elle lutte contre la coalition partielle des despotes ; elle s’organise pour résister à leur coalition générale. Sept cent mille soldats sont sous les armes : un chiffre qui même au temps des plus grandes guerres de Louis XIV ne fut jamais atteint ; et il est sûr que ce n’est qu’un commencement, une première mobilisation. Ou si cela n’est pas sûr encore, du moins cela est probable : bientôt, sans doute, toute la force valide du pays sera dans les armées. De là, au point de vue des prix des denrées, deux conséquences. D’abord, les cultivateurs, les propriétaires fonciers se demandent s’ils ne seront pas exposés à manquer de bras. Déjà Roland dans ses rapports constate que, dans la région du Nord, le travail des semailles a été contrarié non seulement par les pluies de l’automne, mais par le manque de bras.

« En parlant d’agriculture, dit Roland, le 9 janvier, je dois exposer à la