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il dresse le budget précis d’une ferme de 300 arpents à lui connue. Il peut donc être tenté, dans l’intérêt de sa thèse, de forcer le chiffre de la production moyenne de la ferme. Or, il avertit que les résultats obtenus en 1792 doivent être sensiblement réduits, si l’on veut avoir la mesure à peu près exacte des productions de la ferme :

« Je vais, dit-il, établir l’état du fermier sur la récolte la moins avantageuse en quantité et en prix, et je dis qu’au lieu de 800 setiers de blé, qu’ont rapporté, en 1792, les 100 arpents semés de ce grain, la même quantité d’arpents ne rapportera, en 1793, que 700 setiers… Au lieu de 450 setiers d’avoine qu’ont rapportés, en 1792, les 100 arpents semés de ce grain, je les réduis, pour l’année 1793, à 400 setiers de 24 boisseaux, mesure de Paris. »

Ainsi Lecointre, au moment même où il cherche à donner l’idée la plus haute possible des revenus des fermiers, n’ose pas prendre pour type la récolte de 1792 ; il lui fait subir une réduction d’un huitième pour le blé, d’un neuvième pour l’avoine.

Et il se récrie contre les « profits excessifs, honteux, intolérables » qui se font « dans l’état actuel des choses » quand on « porte la récolte sur le pied de 1792, où la moisson a été abondante dans tous les départements agricoles » : car, ajoute-il, « nous avons la consolation de savoir que ce n’est pas la disette des grains qui a occasionné leur extrême cherté, mais la méchanceté de quelques hommes ».

Je ne retiens pas les explications de Lecointre, mais seulement le fait affirmé par lui avec tant de précision. Et il donne couleur et vie à son affirmation en déroulant, sous nos yeux, les vastes plaines toutes chargées encore de leur fécondité d’hier.

« Ouvrez les yeux, citoyens mes collègues, et portez vos regards sur la surface de cet empire. Dans les départements agricoles, à 40 lieues aux environs de Paris, les plaines sont encore garnies de leurs meules ; les cours des gros agriculteurs ont encore entières celles qu’une ample moisson leur a procurées l’année dernière ; quelques-uns même en ont de deux années. Entrez dans les granges, beaucoup sont encore pleines, les greniers de l’accapareur sont remplis. »

Et comme si aucun doute n’était possible sur le fond même des choses, Lecointre s’écrie :

« Et vous, législateurs, vous êtes témoins de cette abondance ; et insensibles aux cris des malheureux, vous voyez de sang-froid qu’une denrée qui devrait, au plus, valoir 30 livres le setier pesant 240 livres, est portée à 50 et 55 livres, et les autres grains en proportion. »

Ainsi, dans l’été fécond de 1792, la générosité de la terre avait répondu à la générosité de la Révolution. Et sous le soleil du Dix Août, l’éclair de la faucille avait couché de larges moissons. Non, il n’y a pas disette profonde ; et ce n’est pas au bord d’un abîme de misère et de désespoir que la République va