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tement, chaque district, chaque canton, soupçonnant que si le grain sortait de leurs limites il deviendrait peut-être la proie de manœuvres coupables, étaient, tentés de le retenir sur place. Ainsi la circulation était sinon arrêtée, au moins troublée, et les régions qui avaient du trop plein ne le déversaient que péniblement sur celles qui avaient du manque : de là, sans doute, l’extrême inégalité des prix.

Une découverte récente avait ranimé les souvenirs les plus tristes et les plus terribles légendes d’accaparement et de famine. Les papiers saisis aux Tuileries avaient révélé l’emploi assez étrange fait, pour le compte du roi, des fonds disponibles. Le roi, par un billet du 7 janvier 1791, en avait confié la gestion à M. de Septeuil :

« J’autorise M. de Septeuil à placer mes fonds libres comme il le jugera convenable, soit en effets sur Paris ou sur l’étranger, sans néanmoins aucune garantie de sa part. »

Et M. de Septeuil s’était mis en rapport avec des maisons de Nantes, de Lyon, et surtout de Hambourg, et il faisait pour le roi, sur les sucres, sur les blés, des opérations où il était intéressé à la hausse. Voici un billet du 22 avril 1792 à MM. Duboisviolette et Moller, de Nantes :

« M. Rocck, d’Hambourg, étant ici dernièrement, vous a prévenu que l’achat fait sur son ordre de 20 barriques sucre terré, montant à 65 982 livres, était pour mon compte. En conséquence, je vous prie, Messieurs, de temps à autre, et premièrement en réponse à celle-ci, de me donner des instructions sur le cours du sucre et sur ce que je puis en espérer. Ce sera d’après cette connaissance que je vous en commettrai la vente. Mon intention est de réaliser le plus tôt possible cette spéculation et aussitôt que j’y pourrai trouver un bénéfice de 10 à 12 %. Je vous prie de m’adresser vos lettres sous enveloppe à M. de Chalandray, rue de l’Université. »

Le 30 avril 1792, Septeuil écrivait à Rocck, qui se trouvait alors à Amsterdam, chez MM. de Bury et Cie :

« Monsieur, j’apprends avec plaisir votre heureuse arrivée à Amsterdam ; je suis charmé que vous n’ayez pas été inquiété sur votre route, il n’en serait peut-être pas de même aujourd’hui, depuis notre déclaration de guerre… A l’égard des marchandises, je vois avec beaucoup de peine la baisse énorme sur celle du no 1. J’attends avec impatience l’effet qu’aura produit notre déclaration de guerre ; vous connaissez mes intentions sur cet article, je persiste à vouloir le réaliser au pair, je me repose sur votre zèle pour mieux faire, si les circonstances deviennent favorables. Quant aux nos 2 et 3, j’ai plus de confiance dans la hausse que ces marchandises doivent éprouver ; j’espère que vous m’informerez exactement des variations de prix, et que vous n’échapperez pas les occasions utiles à mes intérêts vous m’avez donné de belles espérances sur ces opérations, je désire les voir réaliser et n’avoir que des remerciements à vous en faire. »