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au total, à la somme de 63 492 livres ; c’est-à-dire que le salaire annuel de ces ouvriers, qui sont des artistes, s’élève en moyenne à 900 livres, 3 livres par jour de travail. Dans l’atelier de porcelaine tendre, composé d’un chef et de 40 ouvriers, les appointements annuels s’élèvent à 33285 livres : c’est une moyenne annuelle, par ouvrier, de 718 livres ; ou 2 par jour ouvrable : 46 sous. L’atelier de porcelaine dure est composé d’un chef et de 26 ouvriers, qui reçoivent dans l’année 20256 livres ; pas 50 par jour. Voici l’atelier des fours composé d’un chef et de 42 ouvriers, recevant annuellement 25620 livres, c’est-à-dire, pour chacun d’eux, 681 dans l’année : 38 sous par jour.

À la manufacture des Gobelins « les ouvriers étaient au nombre de 134, dont 18 apprentis, et la totalité de leurs journées s’élevait à une somme de 109546 livres. Il y avait sur cette dépense une diminution de 8 à 10000 livres par an, pour le piquage par quart de jour à raison des absences. »

Ainsi, en fait, ils recevaient dans l’année environ 100 000 livres : c’est-à-dire (défalcation faite des apprentis) 860 livres en moyenne pour chacun : 56 sous par jour ouvrable, à peine sur l’ensemble de l’année 50 sous par jour. Et c’étaient des ouvriers rares, aux prises avec le génie des peintres, et obligés d’entrer si subtilement dans l’œuvre des maîtres que, selon la manière large ou raffinée du peintre qu’ils reproduisaient en tapisserie, la vitesse de leur travail mesurée à l’aune était extrêmement variable. « Tant que l’on a exécuté des tableaux des anciens maîtres, les prix fixés pour la main-d’œuvre n’ont excité aucune réclamation ; mais lorsque l’on a exécuté des Boucher, des Van Loo, l’ouvrier n’a pu mettre dans son travail la même promptitude. » Et quand les hauts salaires sont à ce niveau, que doit être le commun des salaires ? Il ne me paraît pas téméraire de dire qu’en général ils représentaient à peine le tiers des salaires actuels. Or, aujourd’hui et depuis une dizaine d’années le prix du pain n’atteint pas en France, dans l’ensemble, 3 sous la livre. Donc, le pain au commencement de 1793, était plus cher qu’aujourd’hui, absolument, au moins d’un quart : et relativement au salaire, il était quatre fois plus cher. Quel fardeau pour le peuple, à cette heure à la fois triomphante et difficile de la Révolution !

Mais quelles étaient les causes de cette redoutable cherté ?

Il est sans doute impossible de les démêler toutes et de mesurer l’action de chacune. Dans ces périodes de rénovation universelle et de vaste ébranlement l’enchevêtrement des faits est extrême, les faits économiques et les faits politiques réagissent les uns sur les autres à l’infini.

Il serait trop commode de dire, comme le font les historiens à la mode de Taine, que la méfiance générale et l’anarchie étaient les causes de la cherté. Sans doute, le peuple avait gardé un souvenir sinistre des opérations d’ancien régime qui furent faites sur les blés, il avait gardé le souvenir horrible des disettes, des famines périodiques qui avaient désolé le pays. Et chaque dépar-