Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/292

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ter le peuple. Or, dans le même décret, il dit (article 4) : « L’exportation des grains est dès ce moment défendue. » C’est donc que dans la majorité des départements, et sans contestation aucune, le pain valait plus de 3 sous la livre. D’ailleurs, il se vendait à peu près 3 sous la livre avant la hausse d’octobre : je crois donc pouvoir conclure qu’à la fin de 1792 et 1793, le pain se vendait au moins 4 sous la livre dans la plus grande partie du pays. Or, la plupart des orateurs sont d’accord pour dire que le travailleur français, surtout le travailleur des campagnes, consomme 3 livres de pain par jour. Dufriche-Valazé dit expressément, dans son discours du 29 novembre :

« Vauban ne porte la consommation qu’à 3 setiers par tête (et par an) ; ce qui ne fait pas tout à fait 2 livres de pain par jour, et si les citadins en consomment moins, qu’ils sachent que l’habitant des campagnes qui est toujours en équilibre entre ses forces et ses fatigues en consomme bien davantage. L’expérience m’a démontré que le laboureur mangeait par jour depuis 3 livres jusqu’à 3 livres 1/4 de pain. »

Il est bien vrai que dans ce pain les habitants pauvres pouvaient faire entrer du seigle ; mais, à moins de réduire la qualité de son pain, le citoyen français supportait alors, rien que pour le pain, une charge de 12 sous par jour. Barbaroux évalue à 2 400 millions la valeur annuelle de la consommation en pain pour les 25 millions de Français : c’est une charge de 88 francs par tête. Et cette année-là, les menus grains, ce qu’on pourrait appeler les grains pauvres, qui au besoin remplaçaient le blé, avaient fait défaut :

« Les pluies presque continuelles de l’automne, écrit Roland, ont beaucoup endommagé les menus grains, tels que le maïs et le sarrazin, qui sont dans plusieurs cantons la principale nourriture de la classe indigente du peuple. Il faut attribuer particulièrement au défaut de récolte de ces menus grains, les demandes considérables de secours qui me sont adressées journellement. »

C’est donc au blé surtout qu’il fallait recourir ; et on voit qu’au cours du pain de froment chaque travailleur, ouvrier ou paysan, selon qu’il consommait 2 livres ou 3 livres de pain par jour, était obligé de dépenser, rien que pour le pain, entre 8 et 12 sous par jour ; c’est-à-dire au moins un tiers du salaire et souvent la moitié. Je n’entre pas en ce moment dans l’étude des salaires sous la Révolution ; je me borne à marquer par quelques exemples, combien, par rapport aux salaires, le prix du pain était à cette date exorbitant. Beaucoup de journaliers agricoles ne gagnaient pas plus de 20 sous par jour. Nous avons vu que les ouvriers du bâtiment à Paris gagnaient 40 sous. Je relève, dans ce même rapport de Roland, qui constate le haut prix du blé, le salaire de quelques catégories d’ouvriers d’élite, payés particulièrement cher. Ainsi, à la manufacture de Sèvres, les ouvriers, au nombre de 204, sont répartis en six ateliers. L’atelier de peinture est composé d’un chef et de 72 ouvriers dont les appointements annuels montent,