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laboureur la concurrence dans le choix des ouvriers. Ce n’est pas tout : les bœufs, les chevaux, ces compagnons de labour, qui économisent les frais de culture et en multiplient les produits, sont enlevés soit pour suffire à la nourriture des défenseurs de la patrie, soit pour aider aux travaux guerriers…

« Les mêmes symptômes affectent l’industrie manufacturière. Le premier élément du prix de tout travail, de toute fabrication, se trouve dérangé, puisque le blé depuis longtemps au taux moyen de 22 livres le setier du poids de 240 livres, se trouve aujourd’hui en France généralement de 37 livres. Les nombreux consommateurs, rentiers, salariés, journaliers, n’éprouvant pas la même augmentation dans leurs revenus, restreignent leurs dépenses, et ne vivifient plus les anciens canaux de la circulation ; un grand nombre même, alarmé à la dépréciation des assignats, achète pour emmagasiner et non pour consommer. »

Ainsi la formidable hausse du blé et du pain, signalée officiellement par la proclamation du Conseil exécutif provisoire du 30 octobre, est constatée encore officiellement dans sa réalité brutale et ses effets présumés, le 9 janvier 1793, par le ministre de l’Intérieur.

Avec cette diversité dans les prix du blé, il n’est pas aisé de savoir exactement quel était le prix moyen du pain. Lequinio qui cherche à rassurer la Convention dit dans son discours du 29 novembre : « Remarquez que les cris et la disette n’ont point lieu dans les départements qui manquent de blé, mais dans ceux où il est abondant. Aujourd’hui le blé manque dans quelques départements du Midi, le pain s’y vend 7 ou 8 sous la livre, et le calme y règne. À trente lieues autour de Paris le sol ne produit que du blé, pour ainsi dire, la récolte a été bonne, tous les greniers sont pleins ; le pain à Paris ne vaut que 3 sous la livre, il n’est pas plus cher dans les 30 lieues qui l’entourent, et c’est là qu’existe le mal. »

Mais, si à Paris le pain ne valait que 3 sous la livre, c’est parce que la municipalité parisienne vendait du blé à perte. On peut donc être sûr que presque partout le prix de la livre de pain dépassait 3 sous. Qu’on se souvienne qu’un député de Lyon s’écriait à la Convention que le pain se vendait à Lyon 5 sous la livre, et que l’on rapproche ce trait effrayant du prix presque incroyable de 7 à 8 sous que Lequinio indique pour quelques départements du Midi ; on sera porté à croire que presque partout le prix du pain s’élevait au moins à 4 sous la livre. Barbaroux propose, le 8 décembre, un décret dont l’article 2 disait :

« Lorsque le prix du pain se sera élevé, dans la majorité des départements au-dessus de 36 deniers la livre, l’exportation des grains de la République sera prohibée par le Corps législatif, et les délinquants seront punis de mort. » (Trente-six deniers c’est 3 sous, le denier exprimant un douzième du sou.)

Trois sous, c’est donc, selon Barbaroux, le prix extrême que peut suppor-