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Mais il aurait fallu pour cela une action rapide, vigoureuse et concertée de tous les pouvoirs révolutionnaires. Or, il y eut incohérence, flottement et conflit. Tout d’abord et dès le 11 août l’Assemblée nationale décide qu’une Cour martiale sera instituée qui jugera les Suisses, leurs officiers et aussi les officiers de la gendarmerie nationale accusés d’avoir fait tirer sur le peuple. Puis, on s’aperçoit que cela présente des difficultés. D’abord le Code pénal militaire ne contient pas avec précision le délit de contre-révolution qu’il faut châtier.

Puis, il n’y a pas que des militaires compromis. Le 14 août, sur la motion de Thuriot, l’Assemblée rapporte son premier décret et institue un Tribunal criminel : « Cet objet ne regarde point la Cour martiale : il faut le renvoyer aux tribunaux ordinaires… et comme il y a plusieurs jurés qui n’ont pas la confiance des citoyens je demande que vous autorisiez les sections à nommer chacune deux jurés d’accusation et deux jurés de jugement. »

Mais pendant que l’Assemblée tâtonnait ainsi dans la procédure de répression, le peuple s’imaginait qu’on cherchait à sauver les coupables, et qu’il allait être dupe. La commune, peu soucieuse de veiller sur la popularité de l’Assemblée législative, répandait elle-même ces rumeurs. Au décret rendu sur la motion de Thuriot elle fit une objection : c’est que les sentences des tribunaux ordinaires étaient susceptibles d’appel devant le tribunal de Cassation. Ainsi il y aurait ajournement, incertitude.

La Commune envoya le 15 août une délégation à l’Assemblée. Cette fois encore c’est Robespierre qui parla en son nom : « Législateurs, si la tranquillité publique et surtout la liberté tient à la punition des coupables vous devez en désirer la promptitude, vous devez en assurer les moyens. Depuis le 10 août, la vengeance du peuple n’a pas encore été satisfaite. Je ne sais quels obstacles invincibles semblent s’y opposer…

« Le décret que vous avez rendu nous semble insuffisant… Il faut au peuple un gouvernement digne de lui. Il lui faut de nouveaux juges, créés pour les circonstances… Le peuple se repose, mais il ne dort pas. Il veut la punition des coupables : il a raison… Nous vous prions de nous débarrasser des autorités constituées en qui nous n’avons point de confiance, d’effacer ce double degré de juridiction qui, en établissant des lenteurs, assure l’impunité ; nous demandons que les coupables soient jugés par des commissaires pris dans chaque section, souverainement et en dernier ressort. »

Robespierre avait raison. Seul un tribunal révolutionnaire inspirant pleine confiance au peuple et jugeant avec rapidité, pouvait assurer la répression et la limiter. Mais quoi ? ce tribunal agissant sous la pression du peuple exaspéré ne serait-il pas un simple tribunal de vengeance ? et à quoi bon l’hypocrisie des formes légales ? Pourquoi ne pas laisser la passion populaire, puisqu’elle est irrésistible, s’exercer elle-même ? Je réponds d’abord qu’une organisation de justice révolutionnaire écartait bien des chances d’erreurs, bien