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objets manufacturés, des produits de son industrie ; du reste, Roland lui-même caractérise excellemment ce mouvement économique : « Les traits caractéristiques remarqués dans cet exposé sont : approvisionnements considérables de grains et farines à l’étranger ; diminution importante dans nos achats en marchandises fabriquées et ouvragées ; ventes abondantes, dans les marchés européens, de nos étoffes de soie et soieries en général, de nos batistes, dentelles, draperies et de nos vins ; diminution dans le débit de nos eaux-de-vie, et des quantités de denrées des îles françaises d’Amérique. Quant à la valeur des marchandises, partout augmentation avantageuse en définitive pour la France, qui, pour solder 227 millions d’achats, a livré pour 382 millions de marchandises, ce qui lui procure, pour le premier semestre de 1792, un excédent de 155 millions. Cet excédent sera réalisé postérieurement par les puissances étrangères, soit en marchandises, soit en argent. »

Ainsi Roland, au moment où il parle, le 9 janvier 1793, et où il fait l’analyse d’un passé récent, n’indique pas que, depuis, aucun signe de fléchissement ait apparu. La France révolutionnaire à la fin de 1792 et au commencement de 1793 se sentait en pleine force économique. Les relations avec les colonies étaient moins bonnes, par l’effet naturel des troubles de Saint-Domingue ; mais ici même, s’il y avait diminution de trafic, il n’y avait pas désastre.

« Les liaisons coloniales de la France, dans les temps ordinaires, consistent en une masse annuelle d’exportation de France de 87 millions, soit pour les îles françaises de l’Amérique, soit pour les côtes d’Afrique. Le premier semestre de 1792 n’offre qu’un total d’expédition de 23 millions malgré le surhaussement dans le prix des marchandises ; et cette diminution porte sur les farines, les vins, les chairs et poissons salés, et les toileries, tous articles formant la base ordinaire de nos cargaisons. La différence n’est pas aussi considérable sur la valeur des retours qui, année moyenne, étaient de 200 millions et qui s’élèvent, pour le premier semestre de 1792, à 163 millions ; mais le haut prix des denrées fait disparaître dans l’évaluation le déficit dans les quantités. »

La phrase obscure et entortillée de Roland signifie qu’une moindre quantité de marchandises que d’habitude a été importée des colonies en France : mais ce déficit dans la quantité a été couvert par la hausse extraordinaire des prix. En fait, il a été plus que couvert puisque l’importation des colonies s’élevait en moyenne à 200 millions par an, c’est-à-dire à 100 millions par semestre, et qu’elle a atteint dans le premier semestre de 1792, 163 millions. Même dans les relations avec les colonies il y a donc, à l’importation, accroissement des valeurs sinon des quantités. Et quand Roland constate ensuite que l’activité de notre marine marchande n’a point fléchi dans le premier semestre de 1792, il ne témoigne par aucun mot que des renseignements défavorables lui soient parvenus sur le mouvement du