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ces termes très pressants et très simples : Pouvons-nous, oui ou non, entreprendre la lutte directe et déclarée contre ce qui reste d’organisation religieuse sans provoquer l’émotion populaire et sans accroître les dangers de la Révolution ? Il me paraît un peu présomptueux, et médiocrement philosophique, de substituer notre jugement au leur et de refaire après coup l’histoire sans en avoir porté nous-mêmes le fardeau. La Révolution avait déjà accompli contre l’Église un effort immense. Elle l’avait expropriée de son domaine, de sa puissance sociale. Elle avait brisé et dispersé les congrégations de tout ordre. Elle avait, sinon rompu, au moins singulièrement distendu, les liens de l’Église de France et de la papauté. Elle avait fait entrer l’Église dans les cadres administratifs et électoraux de la démocratie. Elle déportait les prêtres insoumis qui refusaient le serment. Elle préparait un enseignement public tout laïque et rationnel. Si, avec Condorcet, avec Danton, elle a jugé impolitique d’aller plus loin, si elle a craint, par la suppression prématurée du budget des cultes, de provoquer inutilement l’émotion populaire, je ne puis m’associer aux dédains et aux colères de M. Robinet impatient de voir inaugurer le calendrier républicain ; et je ne puis oublier, comme Quinet l’oublie, que les hommes de la Révolution portaient une responsabilité écrasante, qu’ils manœuvraient dans une effroyable tempête, et que nous n’avons pas le droit, nous qui n’étions pas dans l’orage, de critiquer et de corriger arbitrairement la manœuvre. Ou du moins est-ce un doute que ces juges hautains devraient formuler, non une condamnation.

Mais, pendant que la Révolution résolvait tant bien que mal le problème importun soulevé par Cambon, les méfiances s’accroissaient entre la Révolution et le clergé constitutionnel. Celui-ci s’effrayait d’une proposition qui, même écartée d’abord, pouvait reparaître, et il était blessé de la façon dont on le défendait. Il avait le sentiment que les révolutionnaires, même les plus opposés à la suppression du budget des cultes, considéraient l’Église, même constitutionnelle, comme un mal nécessaire et provisoire. Ainsi à l’hostilité violente des prêtres réfractaires se joignaient sourdement, contre la Révolution, les inquiétudes et les rancunes du clergé assermenté. Grave malaise qui pèse dès le début sur la Convention.

L’embarras des finances commençait aussi à se manifester. Jamais les budgets de la Révolution n’avaient été en équilibre ; les anciennes recettes étaient abolies, et les impôts nouveaux, d’un mécanisme parfois assez compliqué, ne donnaient pas encore leur rendement plein.

C’est toujours avec des assignats que la Constituante et la Législative avaient rétabli l’équilibre. La guerre aggrava singulièrement le déficit. Elle absorba dès les premiers mois presque toutes les ressources de la Révolution. La Législative, comme le rappelle Cambon dans son rapport financier du 17 octobre, n’avait pas hésité, pour faire face aux dépenses de guerre, à réduire à 6 millions par mois le remboursement des dettes exigibles.