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tout ce qui pouvait inquiéter la superstition et ébranler le difficile compromis institué par la Constitution civile du clergé entre l’antique foi et la liberté nouvelle.

Comme Danton, Condorcet, le plus libre des esprits, le plus authentique représentant de la pensée des Encyclopédistes, le philosophe le plus impatient d’élever toute l’humanité à la lumière de la raison, conclut contre la suppression du budget des cultes :

« L’armée que l’Assemblée Constituante a levée contre l’ancien clergé (c’est le nouveau clergé constitutionnel que Condorcet désigne par ces mots pittoresques) est un peu chèrement payée ; mais il serait injuste de la licencier sans accorder une retraite aux généraux et aux soldats. D’ailleurs, écartons toute idée religieuse, et supposons qu’il ait été d’usage de payer dans chaque village un frère de la Charité pour avoir soin des malades et qu’on ait trouvé plus juste de ne pas faire contribuer à cet entretien ceux qui n’ont pas confiance aux chirurgiens de cette corporation. Serait-il bien juste de dire aux malades qui s’en servaient : On ne les payera plus, faites comme ceux qui n’en veulent pas et qui payent leurs chirurgiens. Ces malades ne pourraient-ils pas répondre : Laissez-nous du moins le temps de prendre nos précautions pour nous assurer des secours. Ce n’est pas notre faute si on ne nous a pas accoutumés à choisir et à payer nous-mêmes nos médecins. » (Chronique de Paris du 2 décembre 1792, signature de Condorcet lui-même). Il y a donc, on peut le dire, presque unanimité des plus grands et des plus libres esprits de la Convention contre la motion de Cambon. Et j’avoue que les efforts de M. Robinet pour attribuer à Robespierre seul la responsabilité de cette politique me semblent un peu enfantins.

Il est vrai qu’il se prononça avec une particulière énergie et parfois aussi avec une singulière noblesse dans un grand article de la fin de décembre ; mais déjà tous les partis et tous les hommes de la Révolution avaient pris position contre le projet de Cambon. Seulement, Robespierre, plus que tout autre, semble croire que le christianisme, enseigné par la Révolution et selon la Révolution, peut perdre peu à peu ses dogmes les plus aventureux et les plus tyranniques et se confondre avec la religion naturelle ; et c’est tout un système religieux et moral bien différent de celui de Danton, qu’il esquisse à larges traits.

« Ce n’est pas, dit-il d’abord, une faible preuve des progrès de la raison humaine que l’embarras que j’éprouve à traiter cette question et l’espèce de nécessité où je crois me trouver de faire une profession de foi qui, dans d’autres temps ou dans d’autres lieux, n’aurait pas été impunie. Mon dieu, c’est celui qui créa tous les hommes pour l’égalité et pour le bonheur ; c’est celui qui protège la liberté et qui extermine les tyrans ; mon culte, c’est celui de la justice et de l’humanité. Je n’aime pas plus qu’un autre le pouvoir des prêtres ; c’est une chaîne de plus donnée à l’humanité, mais c’est une chaîne