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Les pousser au désespoir serait une maladresse. De plus, envers le clergé constitutionnel proprement dit, ce serait une ingratitude. Il a dû, pour accepter la Constitution civile et pour recevoir de l’élection populaire ses fonctions renouvelées, affronter les outrages des prêtres réfractaires, les insultes, les menaces, les violences même d’une partie du peuple fanatisé. Il s’est compromis avec la Révolution. Si la Révolution le laisse sans pain, elle viole toute équité. En manquant à l’engagement solennel qu’elle a pris récemment, lorsqu’elle a sécularisé les biens d’Église, d’assurer le service du culte, la Révolution éveille des doutes sur sa bonne foi, et autorise à croire qu’elle ne tiendra pas d’autres engagements souscrits par elle. D’ailleurs, en bien des régions, les patriotes, les révolutionnaires ont souvent fait cause commune avec les prêtres constitutionnels. Ils les ont élus ; ils les ont installés ; ils les ont défendus. Ils ont décidé leurs femmes et leurs enfants à assister à la messe constitutionnelle, à déserter la messe factieuse où affluaient les nobles oublieux de leur voltairianisme d’hier. Délaisser les prêtres constitutionnels, c’est faire jouer un rôle ridicule aux patriotes qui ont lutté pour les défendre ; ainsi, tandis que les prêtres réfractaires fanatisent contre la Révolution une partie du peuple, les prêtres constitutionnels aigris par la misère, par l’abandon subit et par la sorte de désaveu public que la Révolution leur inflige, indisposeront contre la Convention nationale, unique gardienne de la liberté et de la patrie, un grand nombre de patriotes.

Enfin, il était permis d’espérer que le clergé constitutionnel, procédant de l’élection populaire, acceptant une Constitution démocratique, laisserait tomber peu à peu la partie la plus oppressive des dogmes, atténuerait les mystères effrayants pour la raison ou blessants pour l’humanité, se réduirait à une prédication toute morale et civique et ménagerait ainsi, sans secousse, comme sans préméditation, le passage désiré de l’ancienne superstition catholique à une philosophie simplement nuancée d’évangélisme. Et quelques imprudents, quelques « économistes de boutiques », choisissaient, pour troubler ces perspectives de paix, pour allumer dans le pays la guerre religieuse, l’heure tragique où la nation se préparait à juger le roi et avait besoin de toutes ses forces pour l’acte de justice qui allait étonner et peut-être soulever l’univers !

Voilà les raisons qui, à la fin de 1792, déterminèrent les Jacobins à maintenir le budget des cultes. Historiquement et à leur date, elles sont fortes. Elles ne procèdent pas d’un calcul de classe. La bourgeoisie révolutionnaire ne songe pas, comme le feront plus tard beaucoup de ses descendants, à maintenir, artificiellement et par la puissance de l’État, une religion d’autorité, conseillère des résignations pour le prolétariat. Visiblement, au contraire, les grands bourgeois révolutionnaires de 1792 souffrent des préjugés puissants du pays, de son attachement à la tradition religieuse. Ils voudraient l’émanciper du préjugé, de la croyance, l’élever à la philosophie et à la raison. Ils ne