Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/246

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le jeûne, le cilice, l’obéissance aveugle, la discipline, voilà la grande vertu du catholicisme. »

La question est hardiment posée entre le catholicisme et la Révolution. Mais c’est bien rapetisser le problème religieux que de le réduire à un calcul d’argent. Les racines de la croyance sont plus profondes et plus fortes ; et ce sont les dons des croyants, surpris parfois, il est vrai, par les moyens les plus coupables, qui ont fait la richesse de l’Église. Une société n’éliminera la tradition chrétienne qu’en lui substituant peu à peu, dans les consciences, un idéal plus vivant et plus large. Il ne suffit pas, pour abolir le culte, d’obliger les fidèles à le payer. Les Amis de la liberté de la Souterraine en ont le pressentiment, mais l’idéal religieux qu’ils proposent est assez étrange : une combinaison du déisme de Jean-Jacques avec des souvenirs antiques.

« Sans cesse, le prêtre donne de l’Éternel une idée petite et mesquine ; les pratiques les plus minutieuses, voilà ce qui conduit au ciel selon lui ; il compte pour rien les vertus sociales, il dégrade l’âme, il abrutit l’esprit, il avilit l’humanité. Nous, et bientôt, si vous le voulez, tous les Français penseront comme nous, nous ne nous représentons pas l’Éternel comme un despote oriental, nous nous en faisons une idée plus agréable et nous le croyons plutôt entouré d’un Minos, d’un Aristide et d’un Lycurgue que d’un saint Crépin, d’un saint Antoine, d’un saint François. Un bon cultivateur, un bon soldat, un citoyen vertueux, voilà les saints dont nous honorerons la mémoire. »

Il fallait quelque bon vouloir à Manuel pour croire que ce document à peu près unique exprimait l’opinion de la majorité de la France à cette date. Basire s’emporta aux Jacobins contre celui qui avait communiqué à la société le projet de Cambon :

« Je combats le projet du préopinant ; si je ne connaissais pas la pureté de ses intentions, je le regarderais comme un aristocrate ; je ne me sers point du culte catholique, mais je regarde le projet comme propre à répandre de nouveaux troubles. J’examine d’abord la question sur le point de vue de la politique ; je considère cette foule nombreuse de moines et de religieuses et je me demande : comment feront-ils pour subsister ? Mirabeau a dit qu’il n’y avait que trois manières de subsister : ou comme propriétaire, ou comme salarié, ou comme voleur. Mais, dit-on, ils peuvent travailler. Et à quoi travailleront-ils ? Ils n’ont aucune éducation qui leur donne un moyen de se procurer une subsistance nécessaire. Que le Comité apprenne donc une bonne fois à juger en politique. Quel est celui qui peut applaudir à un décret qui peut créer dans un jour trois cent mille brigands ? Considérons d’ailleurs que le peuple aime encore la religion ; et admettre le projet du Comité, c’est ressusciter le fanatisme. Et comment persuaderez-vous à une vieille femme que l’on n’a pas aboli la religion en abolissant les frais du culte ? Dans l’état de détresse où se trouveront les prêtres, ils trouveront des moyens faciles de tromper l’ignorance, ils représenteront les citoyens comme possédés du démon ;