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doute sont contradictoires en leur fond, mais dont la contradiction n’éclate qu’après de longs conflits de conscience : la foi ardente en la Révolution, la foi subsistante au dogme chrétien. Comme le constate, avec une stupeur qui dénote une médiocre connaissance de la nature humaine, le journal de Prudhomme, ce sont les hommes du Dix-Août qui veulent aller à la messe. Ce sont les sans-culottes du faubourg Saint-Marcel qui commémorent dans la nuit de Noël, malgré la défense des magistrats, la date souveraine du christianisme. Partout donc mélange, complexité, chaos ; et ce chaos de la conscience religieuse de la Révolution se prête singulièrement aux manœuvres et aux espérances du clergé. Celui-ci, même quand il est « constitutionnel », même quand il a juré fidélité à la Révolution, n’a pas renoncé à faire de l’Église la plus haute des puissances sociales. Et sous le prétexte ingénieux que l’Évangile est une première promulgation divine des droits de l’homme, il se flatte de faire enfin de la Révolution même la servante de l’Église. La Révolution sera comme une humble sœur cadette aménageant les intérêts matériels des hommes selon les principes évangéliques dont l’Église a l’interprétation et la garde. Les soulèvements spontanés du peuple des faubourgs contre les mesures de la Commune de Paris durent encourager singulièrement les ambitions secrètes du clergé.

Celui-ci n’osa pas pourtant opposer une résistance ouverte et générale aux deux grandes lois de laïcité qui instituaient l’état civil et le divorce. C’était comme le testament glorieux dont, en sa dernière séance, la Législative laissa l’exécution à la Convention nationale.

Depuis des siècles c’est aux prêtres, c’est aux curés des paroisses que le peuple de France déclarait les naissances, les mariages, les décès ; et l’Église en tenait registre. Elle mettait ainsi jusque sur la vie civile le sceau de sa puissance religieuse, ou plutôt la vie civile était comme absorbée dans la puissance religieuse. D’emblée la Révolution comprit qu’il y avait une contradiction absolue entre ses principes qui affranchissaient le citoyen et une pratique qui le subordonnait ou plutôt qui l’anéantissait, en faisant dépendre d’une consécration d’Église la valeur de tous les actes de la vie sociale. Elle était tenue, sous peine de faillite à peu près complète, à confier à des autorités purement civiles le soin d’enregistrer les événements ou les actes de la vie civile. Mais d’abord elle hésita à créer les registres de l’état civil. Elle craignait qu’en obligeant les citoyens à accomplir et à enregistrer dans des conditions civiles les actes principaux, de leur vie, elle parût les arracher de force à la communion catholique, tant les prises de l’Église étaient puissantes encore. La Constituante se sépara sans avoir réalisé cette grande et nécessaire émancipation. Elle se borna à en affirmer le principe dans la Constitution de 1791 :

« La loi ne considère le mariage que comme un contrat civil. Le pouvoir législatif établira pour tous les habitants, sans distinction, le mode par lequel