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fasse ; d’ailleurs, l’arrêté ne défend pas de tapisser ; il laisse chacun libre de faire ce qu’il voudra ; mais, foutre ! on ne pourra pas me forcer, moi qui suis protestant, calviniste, juif ou mahométan, à décorer l’extérieur de ma maison pour solenniser la fête d’un culte auquel je ne crois pas.

« Va toujours, brave Manuel, va, nous te soutiendrons ; fais pénétrer le flambeau de la raison dans la caverne des préjugés, et fous-moi l’âme à l’envers de tous les fanatiques… Encore un mot, Manuel : pourquoi souffres-tu que les prêtres dits constitutionnels fassent encore payer les enterrements, les baptêmes et les mariages ? Est-ce qu’ils ne sont pas payés, les bougres, pour faire tout cela ? Pourquoi la nation paye-t-elle 140 millions de francs pour les frais du culte ? Je te prie de faire un peu attention à cela ; prends-y garde : les prêtres seront toujours prêtres, ils ne valent pas mieux les uns que les autres, et si on leur laisse prendre un pied, ils en auront bientôt dix. »

C’est « cette motion du Père Duchesne », formulée en juin, qu’exécuta en septembre, comme nous l’avons vu, la Commune révolutionnaire du Dix-Août. Mais il est visible, par l’article même d’Hébert, que l’arrêté sur les processions rencontrait de la résistance. En fait, le peuple maltraita tous ceux qui voulaient passer et rompre la procession. Robespierre commença à s’inquiéter des périls que pourrait susciter à la Révolution une campagne trop ouvertement antichrétienne. Il jugea dès lors imprudente la politique qui coalisait les prêtres réfractaires et les prêtres constitutionnels.

« Je crains bien, écrivit Camille Desmoulins, interprète à ce moment de la pensée de Robespierre, que le jacobin Manuel n’ait fait une grande faute en provoquant les mesures contre la procession de la Fête-Dieu. Mon cher Manuel, les rois sont mûrs, mais le bon Dieu ne l’est pas encore. Si j’avais été membre du Comité municipal, j’aurais combattu cette mesure avec autant de chaleur qu’eût pu le faire un marguillier. »

Ainsi, dès la fin de la Législative, éclataient des symptômes inquiétants. Mais c’est la Convention surtout qui put se demander, dès ses premiers jours, si elle ne se retrouverait point aux prises avec une agitation religieuse populaire, conduite par les prêtres constitutionnels. Trois causes principales provoquèrent cette agitation ou lui fournirent un prétexte : les rigoureuses mesures anticléricales ou anticatholiques de la Commune de Paris, l’application de la loi votée in extremis, le 20 septembre, par la Législative sur la constitution de l’état civil et enfin la menace de suppression du budget des cultes.

La Commune de Paris, dans sa séance du 23 décembre 1792, décida, en alléguant des nécessités d’ordre public et le danger de tout rassemblement nocturne, que la messe de Noël, la messe de minuit n’aurait pas lieu. Mais le peuple n’accepta pas cette interdiction ; et dans les paroisses des quartiers populaires, la messe fut dite. Le journal de Prudhomme, qui a toujours une note anticléricale très vive, raconte ainsi ces mouvements :

« En plein jour, dans nos places publiques, faire danser des marionnettes