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cède à l’entraînement des paroles illimitées et éclatantes ; mais quelle grandeur !

« Déjà, dit-il aux Savoisiens, la nation avait décrété l’unité physique et morale de nos divers territoires ; nous venons de lui obéir, et ce ne sera pas le dernier hommage que la Convention se glorifiera de rendre aux institutions de la nation.

« Dans cette chute nécessaire et prochaine de tous les rois ensevelis sous leurs trônes, le seul trône qui restera sera celui de la Liberté, assise sur le Mont-Blanc, d’où cette souveraine du monde, faisant l’appel des nations à naître, étendra ses mains triomphales sur l’univers. »

Ces mains triomphales de la liberté me font peur : mains de libération et mains de proie. Mais de quel point de vue sublime la Révolution regarde maintenant le monde ! C’est elle qui est au pur sommet neigeux des Alpes. C’est à elle que la vierge lumière des glaciers fait une auréole. C’est elle qui apparaît aux hommes comme une candide et ardente clarté. C’est elle qui compte de haut les multitudes morcelées et esclaves et qui, dominant les horizons à demi voilés de l’Italie et de l’Allemagne « appelle les nations encore à naître ».

Jamais la Rome antique n’eut de ces visions, et ses sept collines pauvrement dominatrices sont humiliées par les Alpes colossales dont la cime s’allume d’une aube universelle de Révolution et de liberté.

Ce n’est pas seulement dans le langage de la politique, c’est aussi dans le langage de la science, que la Révolution faisait pénétrer soudain, en ces premiers jours de la Convention si lumineux et si vastes, je ne sais quelle magnifique ampleur humaine. La science est naturellement républicaine ; car ce ne sont pas les décrets arbitraires de volontés particulières et contraignantes qu’elle constate dans l’univers, mais des lois générales et impersonnelles qui s’appliquent à tous les éléments, à tous les êtres, à toutes les forces ; et la République n’est que cette impersonnalité de la loi, transportée de l’ordre de la nature dans l’ordre de la liberté. La science est, en outre, universelle ; ses constatations, ses découvertes, ses démonstrations valent pour tous les peuples et pour tous les hommes. La Révolution avait compris ce lien de la science et de l’universelle liberté. Au grand géomètre Lagrange elle avait confié un mandat de député suppléant à la Convention. C’est le grand savant Fourcroy qui remplacera Marat. L’autorité intellectuelle de Condorcet est grande à la Convention. Nombreux sont, dans l’Assemblée, les hommes instruits, tant pénétrés de ferveur pour la science, Lakanal, Romme dont Baudot a dit qu’il avait « toute la philosophie de Condorcet, avec un caractère bien autrement prononcé » ; d’autres restés obscurs, comme Bonnier dont la « puissance de raisonnement » était admirable ; Guyton Morveau « qui avait des idées sur la République, saines, étendues, lumineuses et accompagnées d’un savoir profond. »