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la bourgeoisie le peuple était encore trop accablé, trop passif pour seconder le mouvement révolutionnaire. Or, les mesures de Custine atteignent la bourgeoisie allemande ; ce sont des corporations bourgeoises qui gouvernaient les cités du Rhin. Il fallait les appeler à soi, les libérer de la tutelle nobiliaire, les animer contre le despotisme clérical ; c’est sur elles que pèse d’emblée tout le fardeau.

Rühl apprend à la Convention qu’à Worms, Custine a commis une grave méprise : « Je viens, dit-il, le 29 novembre, de recevoir une lettre en langue allemande des bourgmestres et Sénat de Worms. Ces magistrats se plaignent de la forte contribution militaire que Custine leur a imposée… La plus forte partie de cette contribution a été imposée sur les magistrats de la ville impériale de Worms, qui, comme on sait, ne sont que de modestes tailleurs et cordonniers. Or, citoyens, si vous voulez vous faire payer des contributions de 200,000 florins il faut les imposer aux prêtres et aux nobles de ce pays, qui sont nos ennemis nés. »

C’était bien, en effet, sur la caste féodale et sacerdotale qu’il fallait faire porter tout le poids. Mais la rude main du soldat conquérant, même quand elle croit briser des fers, violente les intérêts qu’il faudrait gagner.

À Francfort, même conflit avec la bourgeoisie. Custine, en ces pays endormis sous l’ancien régime, devrait se reporter à 1789, reprendre le mouvement à l’origine ; en 1789, la bourgeoisie banquière et rentière luttait en France pour la Révolution. Depuis, elle s’en était en partie détournée ; mais sans son concours initial la Révolution, même en France, eût été impossible. Custine tient le langage de la fin de 1792 à une nation qui n’est pas encore en 1789. Il attaque la Banque et il croit étourdiment que la force incertaine de quelques faubourgs ouvriers suffira à assurer sa conquête.

« Au quartier général, à Francfort, le 29 octobre 1792 : Citoyen président, je dois compte à la Convention nationale de ma conduite vis-à-vis la ville de Francfort ; et ce compte, je vais le rendre. J’étais certain que de grands fonds appartenant aux Autrichiens et aux Prussiens avaient été déposés à Francfort dans deux maisons de banque. Ces fonds se montaient à quatorze millions ; s’ils y étaient encore, je devais m’en saisir… J’avais fixé sa contribution à deux millions de florins, ensuite modérée à un million, sur la représentation du magistrat.

« Non contents de cette modération, qui n’avait d’autre objet que de ne pas faire porter cette contribution sur la classe indigente, quand je l’avais accordée sous cette motion expresse, les magistrats chargent la cote de la classe indigente. On annonce officiellement que le peuple est prêt à se révolter ; qu’il faut modérer ou voir le sang couler ; que les soldats de la République adoptent la cause du magistrat. Je me rends à Francfort, je donne une proclamation dont je joins ici la copie.

« L’aristocratie de la richesse qui n’est pas une des moins terribles est ter-