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Savoie offre sa liberté à la liberté de la France. L’Assemblée termina ses travaux par une noble et fière adresse à la Convention :

« Vous nous avez laissés les maîtres de nous donner des lois, nous avons agi. La nation savoisienne, après avoir proclamé la déchéance de Victor-Amédée et de sa postérité, la proscription éternelle des despotes couronnés, s’est déclarée libre et souveraine. C’est du sein de cette Assemblée qu’est émis le vœu unanime d’être réuni à la République française, non par une simple alliance, mais par une union indissoluble, en formant partie intégrante de l’Empire français.

« Législateurs, ce n’est point une Assemblée d’esclaves tremblants à l’aspect des fers qu’ils viennent de quitter, qui vous supplie de la prendre sous votre protection ; c’est un souverain admirateur de votre gloire, demandant à en faire réfléchir sur lui quelques rayons. » Malgré tout il y a, en ce langage grandiose, comme une nuance d’adulation. Pour l’âme débile des hommes toute grande force, même la force de la liberté armée, devient bientôt une sorte d’idole. Mais quelle puissance et quelle noblesse d’émotion, et quelle ardente fusion de la liberté et de la gloire !

Sur le Rhin les succès furent bien plus superficiels ; mais ils éblouirent un moment par leur rapidité. Depuis le 21 septembre, un double ressort jetait les troupes en avant. D’abord l’invasion des Prussiens et des Autrichiens avait été arrêtée, et cette retraite de l’ennemi permettait à nos soldats de prendre partout l’offensive. Puis, la Convention était réunie, et on sentait en elle une force d’élan et de volonté qui se communiquait aux armées mêmes. C’est Biron, le courtisan brillant et aventureux connu sous le nom de Lauzun, qui commandait l’armée du Rhin. Sa bonne humeur et son courage l’avaient fait aimer des soldats de la Révolution ; mais il était nonchalant et peu porté aux vifs enthousiasmes. Peut-être aussi savait-il que sous le silence de la grande Allemagne immobile s’accumulaient les forces de résistance. Il laissa à son lieutenant Custine la responsabilité de l’offensive. Custine était un vieil officier noble de la guerre de Sept ans. Il avait un furieux désir de se produire, de jouer un rôle. Il se jeta en avant, et dès le 30 septembre, il emportait la ville de Spire, après un vif combat des rues.

« Mon bonheur est extrême d’avoir vu triompher dans ce jour la cause de la liberté, mais ce qui l’a infiniment accru, c’est d’avoir pu diriger et calmer la fureur du soldat. Quel bonheur pour moi de pouvoir dire que dans une ville emportée de vive force, et fusillée dans toutes les rues, il ne s’est pas commis une seule action dont on ait à rougir ! »

Il y eut cependant le lendemain quelques pillages, mais que Custine réprima vigoureusement. Il ne cessa dès lors d’envoyer à la Convention des lettres triomphales où tout était calculé pour le faire valoir. Il n’y avait point dans sa correspondance la spirituelle fierté et la réserve de Dumouriez, mais un empressement un peu lourd, un étalage un peu factice de sentiments ré-