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ils parlaient la langue, c’était pour les Savoisiens s’affranchir de l’exploitation, donner à leur industrie libérée de toute entrave un plein essor, assurer à leurs minerais un débouché dans les usines de la vallée de l’Isère et du Rhône ; c’était enfin se délivrer de l’oppression et de l’exploitation des nobles, du parasitisme épuisant des prêtres et des moines. Il semblait à la Savoie qu’elle allait en quelques jours parcourir sans fatigue, sans secousse, le chemin de trois années que la France républicaine avait suivi à travers les épreuves et les orages. Il lui semblait qu’en associant sa liberté à la liberté de la grande France, elle la mettrait à l’abri contre tout retour offensif des étrangers et des despotes. C’est avec une grande dignité et une grande sagesse que la Savoie prépara sa réunion à la France. Elle voulut éviter toute apparence de contrainte. Elle attendit pour délibérer que tous les soldats français fussent sortis de Savoie, allant vers Genève.

Alors, dans les 655 communes, le peuple fut assemblé ; chaque commune nomma un député ; et ces 655 délégués se réunirent à Chambéry, dans l’église paroissiale, le 22 octobre, un mois après la proclamation de la République française. L’Assemblée constate d’abord que la presque totalité des communes ont donné mandat à leurs délégués de voter la réunion à la France. D’emblée les députés abolissent la royauté aux cris de : « A bas les ducs de Savoie ! A bas la maison prétendue royale de Savoie ! » Au-dessus du fauteuil du président était l’image du Christ, toute entourée d’un drapeau tricolore et d’instruments d’agriculture. L’Évangile épuré de despotisme, la liberté, le travail : c’est sous ce triple rayon que le peuple de Savoie veut naître à la vie française. L’Assemblée se proclame Assemblée nationale ; et c’est dans sa souveraineté qu’elle harmonise d’avance les institutions de la Savoie à celles de la France. Elle ne veut pas offrir à la France un pays serf et demander la liberté. Elle veut réunir à la France libre une Savoie libre et c’est la Savoie elle-même qui accomplit à son tour sa Révolution. Elle arrive d’emblée aux conclusions dernières de la Révolution française.

Certes, ce sont des bourgeois, et même des légistes bourgeois, qui sont les chefs de l’Assemblée et les directeurs du mouvement. Le Comité de législation chargé de presque tout le travail est exclusivement composé « d’hommes de loi », de « notaires », et « d’avoués ». Mais ce n’est pas par une législation restrictive, analogue à celle de l’Assemblée constituante française, que débute l’Assemblée savoisienne. Pas de loi du marc d’argent ; pas de distinction entre citoyens actifs et citoyens passifs. C’est le suffrage universel et populaire qui est à la source de toute institution, c’est en pleine démocratie que s’engage tout d’abord l’Assemblée de Savoie. Elle abolit, les droits féodaux et les dîmes, nationalise tous les biens d’Église de tout ordre et saisit les biens des émigrés, les domaines des nobles et des « grands propriétaires » qui ont depuis le commencement d’août, aux approches redoutées de la Révolution française, quitté le pays. Ainsi délivrée de toutes les entraves du passé, la