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civile, soit militaire ; l’éloquence qui remue le cœur du peuple n’est pour rien dans leurs mesures ; s’ils veulent faire quelques proclamations, elles sont si entortillées que la masse n’y comprend rien, tout au plus peuvent-ils parler à une passion. La Convention pouvait parler à toutes.

« Metternich parlera de la gloire de l’antique Germanie, Mahmoud de la religion de Mahomet, de l’étendard du prophète. Ces sentiments peuvent être généreux ; mais ils s’arrêtent et se croisent sur la route avant d’arriver au cœur.

« Nous avions donc la tribune, c’est-à-dire le pouvoir de l’éloquence et les baïonnettes au bout. »

Au moment où Vergniaud répondait aux messagers de Jemmapes en magnifiques accents et où son éloquence, comme un éclair qui s’allumerait à un autre éclair, s’enflammait à la victoire, les Conventionnels sentaient sans doute se former en leur âme ce plein orgueil qui, à travers les événements et les désastres, survit en Baudot.

En Savoie ce n’est pas, comme en Belgique, avec des démonstrations mêlées de réserve et d’inquiétude, c’est à plein cœur que l’armée de la Révolution fut accueillie. Dès le 21 septembre, le général Montesquiou, suspect à la Convention à cause de ses relations politiques avec La Fayette, se hâtait vers le cœur de la Savoie, pour désarmer le soupçon. Le 25 il était à Chambéry où il était reçu avec des transports de joie : « La marche de mon armée est un triomphe ; le peuple des campagnes, celui des villes accourent au devant de nous ; la cocarde tricolore est arborée partout ; les applaudissements, les cris de joie accompagnent tous nos pas ; une députation de Chambéry m’est venue trouver avant-hier au château des Marches ; hier matin j’en suis parti avec 100 chevaux, 8 compagnies de grenadiers et 4 pièces de canon pour me rendre dans cette ville. La municipalité m’attendait à la porte en habit de cérémonie pour m’en remettre les clefs. Le chef de la municipalité m’a exprimé les sentiments de respect et d’attachement du peuple de Savoie pour la nation française et, au nom de cette nation généreuse, j’ai promis protection, paix et liberté au peuple de Savoie. (Vifs applaudissements.) Je me suis rendu à la maison commune ; j’ai reçu les hommages que les citoyens s’empressaient de rendre à la nation, et toute la troupe a été invitée à un grand festin qui lui était préparé. »

La Savoie, depuis que grandissait la Révolution, inclinait de plus en plus vers la France. Elle était exploitée par le Piémont, qui l’obligeait à nourrir une partie de ses troupes, qui lui envoyait et lui imposait des fonctionnaires, qui réglementait dans un esprit étroit et jaloux son industrie. La domination des nobles y était détestée ; leurs privilèges, leur refus de se soumettre à la loi commune de l’impôt étaient particulièrement odieux dans un pays pauvre. Les biens d’Église, les biens des ordres de Saint-Maurice et de Malte étaient vastes ; et les paysans, la bourgeoisie étaient resserrés. Aller à la France, dont