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Mais Vergniaud, en sa grande imagination sereine, fit évanouir les ombres de la mort. La victoire de la liberté, c’était la victoire de la vie ; c’était la résurrection des peuples ; et ceux qui tombaient pour cette œuvre de vie pouvaient redire l’audacieuse parole : Ô mort, où est ton aiguillon ?

« Chantez donc, s’écria-t-il, chantez une victoire qui sera celle de l’humanité. Il a péri des hommes, mais c’est pour qu’il n’en périsse plus. Je le jure, au nom de la fraternité universelle que vous allez établir, chacun de vos combats sera un pas vers la paix, l’humanité et le bonheur des peuples. »

La Convention, libérée des scrupules tristes et élevée au-dessus de la mort même, décréta une grande fête nationale. Comme en ces jours d’été splendide où l’universel rayonnement de lumière semble exclure la possibilité même de la souffrance et de la nuit, toute pensée triste était absorbée maintenant une splendeur de liberté et de gloire. La lumière antique avait eu parfois cette sérénité ; elle n’avait jamais eu cette vie de flamme, cette expansion ardente au delà de l’horizon étroit de la cité, sur toute l’étendue de la race humaine.

C’est sans résistance que Mons ouvrit ses portes le 8 novembre. En mettant les mains sur les clefs de la cité, Dumouriez dit aux magistrats : « Nous venons comme frères et amis. » C’est aux cris de : « Vive la République ! vive la liberté ! » que l’armée fut accueillie dans la ville, et immédiatement la province du Hainaut, dont Mons était la capitale, s’organisa démocratiquement. Elle nomma, au scrutin du peuple entier, 30 magistrats, une sorte de directoire directement élu par le suffrage universel. Le 12 novembre Charleroi était occupé par le général Valence ; le 14, Dumouriez entrait triomphalement à Bruxelles.

« Hier, écrivit-il le 14 au Président de la Convention, je me suis présenté devant Bruxelles, avec mon avant-garde. Les Autrichiens m’ont disputé les hauteurs d’Anderlecht. Je n’ai pas voulu exposer mes braves camarades à répandre un sang inutile, la nuit arrivant ; j’ai bivouaqué, et le matin j’ai été reçu dans Bruxelles, comme libérateur de la nation. (Vifs applaudissements.) L’armée de la République est plus animée que jamais ; on peut lui donner pour épigraphe : Vires acquirit eundo. (Vifs applaudissements.) »

Enfin, en quelques semaines, Liège, Gand, Anvers, Namur furent occupés. Ce n’était guère plus qu’une promenade triomphale. Mais peut-être entre la France révolutionnaire et la Belgique libérée y avait-il un malentendu. Aux yeux de la France, c’était surtout, si je puis dire, une libération révolutionnaire ; aux yeux de la Belgique, c’était surtout une libération nationale. Pleine de sympathie pour les Français qui chassaient l’Autrichien, la nation belge entendait surtout user de son indépendance reconquise pour garder ou restaurer ses vieilles coutumes. L’Église, les corporations bourgeoises y étaient puissantes ; et c’est sur un étang aux eaux un peu lourdes que passait le souffle de la Révolution. Il agitait la surface et rebroussait les flots ; il ne remuait pas