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troupes de caserne. La caserne a toujours affaibli les hommes. De Guibert, dans ses livres de tactique, constate que la caserne débilitait et viciait les soldats de la monarchie. Dans ses mémoires, Gouvion Saint-Cyr déclare expressément que les premières armées de la Révolution se composaient de deux éléments bien différents : des troupes de ligne « affaiblies au moral et au physique par le séjour prolongé de la caserne » et des volontaires vaillants et alertes. Mais ce qui est vrai, c’est qu’il y avait à côté des chefs élus des bataillons des volontaires, d’excellents officiers de ligne expérimentés. Ce qui est vrai, c’est que depuis la Révolution la vie même de caserne avait été transformée ; les soldats n’avaient pas été tenus à l’écart de la vie civile et nationale. Ils avaient fraternisé avec les citoyens ; eux-mêmes étaient devenus des citoyens, et ils avaient été ainsi comme renouvelés en leur âme. Ils étaient tout prêts, sur le champ de bataille, à de merveilleuses harmonies d’enthousiasme avec les volontaires qui portaient en eux toutes les voix de la Révolution. L’émigration de beaucoup d’officiers nobles, le départ de La Fayette n’avaient laissé subsister des cadres de l’ancienne armée que ce qui s’adaptait au mouvement révolutionnaire. Surtout l’artillerie était admirable, à la fois patriote et savante. À la fin de l’ancien régime, dans la décadence des institutions militaires, elle avait seule grandi, par la science, par l’étude, par un libre esprit moderne. Elle se sentait d’accord avec les sciences, qui partout grandissaient, et avec le libre examen qui multipliait les découvertes dans l’ordre militaire comme dans l’ordre industriel. Et elle était toute prête à défendre la Révolution.

Ainsi la science du XVIIIe siècle ajoutait sa force, dans les armées révolutionnaires, à l’élan des soldats citoyens ; elles étaient le peuple en mouvement ; elles étaient aussi, si je puis dire, l’Encyclopédie armée. Grande leçon pour les démocraties républicaines qui cherchent un type nouveau d’organisation militaire ! Ce n’est pas dans la routine malfaisante et anémiante de la caserne qu’elles prépareront des soldats. Ce n’est pas non plus en abaissant le niveau scientifique des chefs, qu’elles s’assureront leur fidélité ; l’homogénéité morale et la haute science, voilà les deux grandes forces de l’institution militaire dans une démocratie.

La victoire de Jemmapes transporta la Convention. C’était, sur ses premiers jours, un rayonnement de gloire et de liberté. Elle hésita un moment à instituer une grande fête. La liberté avait vaincu ; mais des hommes étaient morts.

« Laissons aux rois de l’Europe, s’écria Barère, à célébrer des fêtes quand ils ont inondé la terre de sang. Dans les Républiques anciennes les batailles étaient des jeux funèbres ; et non pas des fêtes brillantes… Quoi ! des milliers d’hommes ont péri. Car les Autrichiens sont des hommes… Il n’y a que les rois qui ne sont pas des hommes… Je demande un simple monument funèbre. »