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et imprimeurs de toutes les feuilles « anticiviques » ; elle distribue entre les imprimeurs patriotes leurs presses, leurs caractères et leurs instruments. Et elle ordonne au directeur des postes d’épurer son administration de tous les employés qui ne sont pas « dans le sens de la Révolution » afin qu’aucune trahison des bureaux ne laisse passer et s’infiltrer aux veines de la nation le poison contre-révolutionnaire. C’était hardi ; car pour la première fois la Révolution portait atteinte à la « liberté de la presse », qu’elle avait jusque-là si énergiquement défendue. Mais l’ennemi était aux frontières, et la trahison était au cœur de la patrie. La Révolution proclamait en réalité l’état de siège contre les envahisseurs et contre les traîtres. Très habilement, en cet acte audacieux, la Commune se fit couvrir par l’Assemblée législative ; ou du moins, en lui communiquant ces arrêtés vigoureux, elle l’y associa. Léonard Bourdon, à la tête d’une députation de la Commune de Paris, dit à l’Assemblée, le 12 :

« Les journaux incendiaires, d’après les mesures qu’a prises la Commune, n’empoisonneront plus ni la capitale, ni les départements. Leurs presses et leurs caractères seront employés à servir la Révolution. »

Le Président girondin Gensonné lui répondit : « L’Assemblée nationale entend avec plaisir les mesures que vous avez prises pour la tranquillité de Paris, et pour empêcher la communication qui résulterait du venin des journaux aristocratiques ; elle vous engage à continuer votre surveillance. »

Ainsi, la Gironde elle-même consacrait à ce moment ce qu’on peut appeler la « dictature impersonnelle » du peuple révolutionnaire de Paris.

La Commune faisait arrêter le même jour Adrien Duport, Dupont de Nemours, Lachenaye, Rulhière (le père de l’historien), Sanson-Duperron, juge de paix de la section Mauconseil, Cappy, officier de paix, Borie, ancien officier municipal, et le président de la Grange-Batelière. Scellés sont apposés sur leurs papiers et sur les papiers du bureau central des juges de paix, presque tous suspects d’attaches à la Cour et de feuillantisme.

Il ne suffisait pas d’arrêter les journaux ennemis. Il fallait empêcher qu’aucun courrier, qu’aucun citoyen allât allumer la guerre civile en dénaturant les événements, en calomniant Paris. La Commune ferma, pour ainsi dire les portes de Paris ; elle immobilisa dans la grande ville révolutionnaire toutes les forces de contre-révolution qui, de tous les points de France, avaient afflué vers le roi, vers le château de Coblentz, comme les fédérés appelaient les Tuileries. Défense fut donc faite d’accorder aucuns passeports, excepté aux personnes chargées d’approvisionner la ville de Paris, ou qui porteraient des décrets de l’Assemblée nationale. Injonctions aux propriétaires et logeurs de faire la déclaration des étrangers qui habitent chez eux, au Comité de leur section, qui en fera passer la liste dans les vingt-quatre heures.

Il est décidé que des commissaires se transporteront dans les environs de Paris, à quatre lieues à la ronde, pour s’informer des personnes qui demeurent dans cette partie extérieure de la capitale.