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que le général prussien, en poussant la guerre, s’acquitte d’une corvée ! Et quelle obsession étrange de vouloir garantir à Louis XVI, dans le nouvel ordre des choses, une situation quelconque ! C’est le désarroi d’un esprit flottant entre sa consigne, le faux point d’honneur monarchique et le sentiment vif et triste de la réalité.

Dumouriez saisit avec empressement ces ouvertures. Il tenait à négocier pour deux raisons. D’abord il savait que l’armée prussienne, travaillée par la dysenterie, fondait tous les jours et qu’à traîner un peu les pourparlers il aurait raison de ce qui lui restait de force. Ensuite, il était convaincu que l’alliance de la Prusse et de l’Autriche contre la France était artificielle, que la Prusse dégagée par l’insuccès même de sa tentative militaire de toute obligation envers la royauté française, se rapprocherait de la France. Alors la maison d’Autriche serait écrasée et Dumouriez réaliserait par la Révolution ce que toute une école de diplomatie avait rêvé sous la monarchie. Il se hâta d’adresser au roi de Prusse un mémoire où il le caressait, l’animait contre l’Autriche, le rassurait contre toute idée de propagande révolutionnaire dans ses États :

« Il faut nécessairement regarder la France comme une République puisque la nation entière a déclaré l’abolition de la monarchie. Cette République, il faut la reconnaître ou la combattre. Les puissances armées contre la France n’avaient aucun droit de s’immiscer dans les débats de la nation assemblée sur la forme de son gouvernement. Aucune puissance n’a le droit d’imposer des lois à une aussi grande nation. Aussi ont-elles pris le parti de déployer le droit du plus fort. Mais qu’en est-il résulté ? La nation ne fait que s’irriter davantage ; elle oppose la force à la force, et certainement les avantages qu’ont obtenus les nombreuses troupes du roi de Prusse et de ses alliés sont très peu conséquents. La résistance qu’il rencontre et qui se multiplie à mesure qu’il avance est trop grande pour ne pas lui prouver que la conquête de la France, qu’on lui a présentée comme très aisée, est absolument impossible…

« Les Prussiens aiment la royauté parce que depuis le grand électeur ils ont eu de bons rois, et que celui qui les conduit est sans doute digne de leur amour. Les Français ont aboli la royauté, parce que depuis l’immortel Henri IV, ils n’ont cessé d’avoir des rois faibles, ou orgueilleux, ou lâches, ou gouvernés par des maîtresses, des confesseurs, des ministres ignorants et insolents, des courtisans vils ou brigands qui ont affligé de toutes les calamités le plus bel empire de l’univers. — Est-il possible que contre les règles de la vraie politique, de la justice éternelle et de l’humanité, le roi de Prusse consente à être l’exécuteur des volontés de la perfide cour de Vienne ; sacrifie sa brave armée et ses trésors à l’ambition de cette Cour ? — Il est temps qu’une explication franche et pure termine nos discussions ou les confirme et nous fasse connaître nos vrais ennemis. Nous les combattrons avec courage, nous sommes sur notre sol, nous avons à venger les excès commis dans nos