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n’ont pas le temps d’être justes et de classer les titres historiques de l’institution qui va tuer si elle ne meurt.

À l’unanimité, la royauté est abolie : de l’Assemblée, des tribunes, s’élèvent de longs cris de : « Vive la Nation ! » C’était la veille, à Valmy, le cri des soldats révolutionnaires. Précisément, des volontaires, avant de quitter Paris, demandaient à prêter serment devant la Convention. « Pendant que vous défendrez la liberté par la force de vos armes, leur dit le président, la Convention la défendra par la force des lois. La royauté est abolie… » Ainsi toutes les émotions se liaient, toutes les forces se continuaient, et les soldats emportaient, comme une arme de plus, le décret du législateur.

Le lendemain 22, à la demande de Billaud-Varenne, la Convention décida qu’à compter de la veille les actes publics, au lieu de dater de l’an IV de la liberté, porteraient la date de l’an premier de la République. C’est sous cette forme que la République fut proclamée et que son nom fut inscrit officiellement dans la Révolution. C’était une sublime nouveauté dans l’histoire du monde.

Il y avait eu des républiques aristocratiques ou fondées sur le travail des esclaves, sur toute une hiérarchie de la conquête. Il y avait eu des républiques barbares, courtes associations militaires où le courage suscitait et désignait les chefs. Il y avait de petites républiques oligarchiques, comme celle des cantons suisses. Il y avait la république des exilés, des proscrits, celle que, sur le sol vierge de l’Amérique, où il n’y avait aucune racine de monarchie, formèrent les descendants des puritains. Mais qu’un grand et vaste peuple, policé et riche, chargé de dix siècles d’histoire, qui avait grandi avec la monarchie et qui, hier encore, la jugeait nécessaire même à la Révolution, que ce peuple où il n’y avait pas d’esclaves, où il n’y avait plus de serfs et où, depuis le Dix-Août, tous les citoyens étaient égaux, s’élevât à la République, et qu’il devînt vraiment, tout entier, dans tous ses éléments, un peuple de rois, voilà en effet la grande nouveauté et la grande audace.

Les révolutionnaires en avaient la conscience très nette. Eux que l’on a si souvent et si sottement accusés d’être des écoliers et des rhéteurs fascinés par les souvenirs de l’antiquité mal comprise et égarés par elle, ils savaient très bien et ils disaient que leur œuvre n’avait pas de précédent dans l’histoire et qu’aucune leçon du passé ne leur suffirait à conduire l’expérience nouvelle. Dès le lendemain, dans le numéro du 22 au 29 septembre, le journal Les Révolutions de Paris traduit avec netteté et avec force la pensée commune :

« Tout en respectant les mœurs de la belle antiquité, tout en admirant les chefs-d’œuvre qu’elle nous a laissés dans les beaux-arts, Athènes, Sparte et Rome, quant à leur législation, n’ont rien à nous offrir capable de nous servir de règle ou de préservatif. De ce que les républiques anciennes ont fait en politique, nous ne pouvons rien conclure parce que nous n’avons rien à faire.