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la vanité de la vie, décevante comme un songe. Dès lors une ombre ineffaçable était sur eux, et une mélancolie mortelle. En vain ils s’agitent, dénoncent, accusent, multiplient les motions : on sent en eux je ne sais quoi de lassé et de factice : c’est l’arbre mordu à la racine qui s’épuise en frondaisons maladives et surabondantes.

Robespierre, lui, n’était pas épuisé, ni mélancolique, ni las. D’un esprit acéré et d’un regard profond, il cherchait à travers la complication des choses sa route et celle de la Révolution.

Mais s’il n’était pas vieilli par la fatigue, il l’était par la haine : il pouvait compter son âge aux couches de haine qui s’étaient successivement déposées dans son cœur. Contre Mirabeau, contre Duport, contre Barnave, contre Lafayette, contre ceux qui l’éclipsaient ou le raillaient, contre ceux aussi qui méconnaissaient sa foi profonde en la démocratie, il avait lutté ; puis d’autres s’étaient levés qu’il avait encore fallu combattre, qu’il avait encore fallu haïr. Et sur la Convention nouvelle, il semblait que ces Girondins détestés avaient de fortes prises : serait-il condamné encore à renouveler sa haine, pour l’étendre à toute l’Assemblée dont la Révolution et la France attendaient le salut ?

Ainsi, comme un sombre lac de montagne où ont roulé bien des débris, la Convention était d’emblée comme un vaste abîme obscur où, à des profondeurs diverses, remuaient des choses du passé.

Et pourtant, en cette grande assemblée, si vieille à sa naissance par les passions et les souvenirs, éclataient une jeunesse extraordinaire et une admirable force virile. Deux grandes choses renouvelaient les cœurs : l’intensité du drame et sa clarté. Il ne s’agissait plus de biaiser, de combiner des ruses. Le roi était captif : qu’en fallait-il faire ? Question tragique. La royauté était à bas : quel édifice construire sur le sol bouleversé ? Question impérieuse.

La guerre s’étendait, s’amplifiait. Comment la soutenir ? Et quel terme, quel but lui assigner ? Question de vie ou de mort. Au foyer de ces problèmes l’âme de la Convention brûlait. Malheur aux imprudents ! Mais aussi, dès le premier jour, malheur aux tièdes !

Danton comprit d’emblée que pour pouvoir s’engager à fond dans la carrière de la République et de la guerre révolutionnaire, il fallait d’abord rassurer et unir les esprits. Les prédications de Momoro et des autres avaient effrayé les possédants, petits et grands. Danton veut dissiper leurs craintes. Les polémiques forcenées de la Gironde avaient persuadé à plusieurs qu’en effet, Danton, Marat, Robespierre, prétendaient à la dictature : qu’on en finisse avec cette légende du triumvirat ! La France commençait à redouter le despotisme de Paris : qu’il soit bien entendu que toute loi ne sera loi que par la ratification du peuple entier, par le consentement formel de la France ! Il monta à la tribune le 21 septembre :

« Avant d’exprimer mon opinion sur le premier acte que doit faire l’Assemblée nationale, qu’il me soit permis de résigner dans son sein les fonctions