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hommes, au cœur des paysans, au cœur des bûcherons, la grande espérance de liberté, le grand combat pour le droit.

Le tocsin révolutionnaire du 14 juillet et du 10 août se multiplie sous bois, et fait lever les pauvres villages. C’était le génie de Dumouriez, ou plutôt, c’était le génie de la Révolution d’associer ainsi à l’action des armées organisées la vaste action éparse du peuple. Mais quel trouble pour l’envahisseur ! Il croyait que les cloches bénies allaient le saluer, parler pour lui, propager joyeusement, de clocher en clocher, la délivrance prochaine du roi et du prêtre. Elles sonnaient contre lui ; elles parlaient contre lui ; c’est contre lui qu’elles appelaient, du fond des bois, la mort obscure et farouche, illuminée soudain de l’éclair d’une hache.

Et Dumouriez avait une telle confiance en tous ces hommes, en tous ces citoyens nés d’hier à la vie libre, qu’il ne les invitait pas seulement à aider son armée, mais à former son armée. Il ne craignait pas, à la veille même de la bataille, de les faire entrer dans ses cadres, de jeter dans le moule tout neuf le métal non encore éprouvé.

« Au nom de la patrie, au nom de la sainte liberté que nous avons conquise, de l’égalité qui est la base de notre gouvernement et de notre bonheur, braves citoyens français, venez vous joindre à une armée qui attend ses frères pour marcher contre les barbares satellites des tyrans, qui portent la désolation, le meurtre, le pillage et les outrages les plus violents dans la terre sacrée de la liberté ; ils sont entrés chez nous par la lâcheté des habitants de Longwy, par la trahison des chefs à qui vous avez accordé votre confiance ; ces factieux ont disparu, un seul esprit, un seul sentiment dirigent l’armée que je vais mener contre les brigands de la Germanie ; tous les braves soldats, tous leurs officiers qui sont restés fidèles jurent, avec moi, de périr ou de triompher.

« Venez donc vous joindre à nous ; que ceux qui ont des chevaux et des armes viennent augmenter nos escadrons ; que ceux qui ont des uniformes et des fusils viennent grossir nos bataillons ; que les administrateurs des départements et des districts ordonnent qu’il nous soit fourni des vivres et des fourrages nécessaires pour notre expédition, afin que rien ne nous arrête dans notre marche et qu’après avoir chassé de France cette horde de barbares, nous puissions aller propager nos principes, les armes à la main, dans leur propre pays, et faire trembler leurs tyrans et les renverser de dessus leurs trônes ; jurons de ne poser nos justes armes que lorsque tous les pays qui nous environnent sentiront le prix de la liberté. »

Singulier génie que celui de cet homme qui, resté diplomate d’ancien régime et rêvant surtout, même pour mettre fin à la guerre, d’habiles combinaisons, sait émouvoir toutes les forces de la passion révolutionnaire. Merveilleux violon qui aurait mené les bals des salons d’ancien régime et qui, par