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organiser la résistance en province. Le gouvernement de la Défense nationale n’avait pas quitté Paris ; il y était resté, il y subissait l’investissement ; et le premier objet de Gambetta, en réunissant des troupes sur la Loire était non de protéger la France du Midi, mais de marcher sur Paris et de le débloquer. Chose étrange ! Les Girondins qui ont si abusé des souvenirs sanglants de septembre et qui ont si passionnément essayé d’y compromettre Danton ne semblent pas avoir songé que quitter Paris, en faire sortir le gouvernement, la Convention, c’était livrer la capitale affolée à toutes les convulsions du désespoir, à tous les délires de la vengeance et de la peur. Le sang qui coula en septembre n’est rien à côté des fleuves et des fleuves qui auraient empli les rues de Paris abandonné par la Révolution, abandonné par l’espérance.

Danton rendit un service immense à la Révolution et à la patrie en écrasant de sa forte parole toutes ces pensées débiles, en criant à tous l’espoir et l’action. Il était de nom, à ce moment, le ministre de la justice. Il était de fait le chef de la défense nationale. C’est lui qui animait les esprits et les cœurs de sa confiance intrépide. C’est à son énergie qu’allaient les énergies. Mme Roland a cru l’accabler en disant qu’il avait jeté dans les armées des hommes de la Révolution, en répétant, d’après Servan, qu’il les avait « empoisonnées de Cordeliers ». Il y jetait des forces vibrantes : mais c’était des armes aussi et des chefs qu’il leur fournissait. Je trouve un détail saisissant dans le récit de Latouche-Cheftel, le médecin qui surprit le secret de la conspiration bretonne de la Rouerie. C’est à Danton qu’il en parla d’abord :

« En causant avec Danton, je lui fis part de ce qui se tramait. Nous étions alors dans les convulsions qui précédèrent le Dix Août, et la chose en resta là. Moi-même, distrait par les événements qui se succédèrent si rapidement à Paris, je n’y pensais plus… Le 2 septembre, je me rends chez Danton, alors ministre de la justice, que je ne pus voir et qui me fit donner rendez-vous pour le lendemain 3 à six heures du matin. Il me reçut dans son cabinet où étaient Fabre d’Églantine et Camille Desmoulins. Il est inutile de détailler ici notre conversation. Il suffit de dire que je ne sortis du ministère de la justice qu’avec l’ordre et la commission de me rendre en Bretagne pour y accélérer le départ de l’artillerie qu’on faisait venir de Brest et Lorient en toute hâte pour les plaines de la Champagne. Il ne fut pas même question de la Rouerie. » Ou du moins Latouche-Cheftel ne veut pas l’avouer, mais comme on saisit sur le vif l’action de Danton, utilisant toutes les forces et les utilisant à toute fin, se servant de Latouche-Cheftel pour hâter l’expédition du matériel et pour surveiller la contre-révolution ! Et c’est au matin de la nuit sanglante de septembre, que levé à l’aube, lui, le grand paresseux, et sans s’attarder à gémir ou à craindre, il hâte de tout son effort la concentration des armes, des fusils, des canons, contre l’envahisseur.

Dumouriez n’eut tout son ressort, toute sa liberté d’esprit que parce qu’il