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rappelait les lieux ou les personnes dont on pourrait espérer de l’appui, et répétait qu’après une Révolution qui avait donné de si grandes espérances il ne fallait pas tomber dans l’esclavage, mais tout tenter pour établir quelque part un gouvernement libre.

« Ce sera notre ressource, disait Barbaroux, si les Marseillais que j’ai accompagnés ici ne sont pas assez bien secondés par les Parisiens pour renverser la Cour ; j’espère cependant qu’ils en viendront à bout, et que nous aurons une Convention qui donnera la République pour toute la France. »

Encore une fois, il y aurait scélératesse à prétendre qu’il y a eu dans l’esprit des Girondins comme un schisme prémédité. C’est seulement en cas de défaite de la liberté au centre, à Paris, qu’ils suscitaient cette République du Midi. Qui peut oublier que précisément à cette heure les bataillons marseillais accouraient à Paris pour y livrer, dans l’intérêt de tous, la bataille de la liberté ? Qui peut oublier que Servan, un moment attardé à ces plans enfantins, n’aura bientôt, comme ministre de la guerre, qu’une pensée : couvrir Paris, et éliminer tous les plans aventureux qui pourraient laisser la capitale à découvert ? Mais il y avait pourtant je ne sais quel principe secret de dispersion, de paralysie et de défaite dans cette complaisance girondine aux rêves de France restreinte. Les Roland s’occupent de cette France diminuée, de cette France méridionale comme si elle était la France définitive : ils marquent, comme le dit avec une effrayante tranquillité Mme Roland, les « lignes de démarcation » ; ils cherchent comment elle se suffira elle-même, au point de vue économique, non pas quelques jours, mais toujours. On ne sent pas en eux le frémissement des fibres tranchées qui cherchent à se rejoindre, à se renouer au cœur de la patrie. Je cherche en vain, en tous ces rêves, le plan de reprise de Paris le retour triomphal de la liberté vers le Nord ; elle semble s’immobiliser aux glorieux rayons du Midi et s’y endormir dans une fierté nonchalante. Avant même d’avoir reçu la blessure, le cœur de ces hommes est cicatrisé. Et ce n’est pas seulement dans des conversations privées et un peu romanesques, c’est au Conseil même des ministres, c’est dans les jours tragiques qui suivent la chute de Longwy et de Verdun, que cette pensée se fait jour. Danton, un peu plus tard, poussé à bout par la haine meurtrière de la Gironde, se retourne, et l’accuse en pleine Convention : « Puisqu’il s’agit de dire hautement sa pensée, je rappellerai, moi, qu’il fut un moment où la confiance fut tellement abattue qu’il n’y avait plus de ministres, et que Roland lui-même eut l’idée de sortir de Paris. »

Mme Roland atténue la chose, mais elle ne peut la nier :

« Je sais que, dans la supposition que les Prussiens s’approchassent beaucoup de Paris, on mit une fois en question ce qu’il conviendrait de faire et s’il serait sage de faire quitter cette ville à la représentation nationale qui intéressait tout l’empire ; mais la discussion fut légère, hypothétique, plus même qu’elle n’eût dû l’être ; il n’y eut point de menaces faites par aucun