Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/165

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Toulon, de Marseille, d’Arles, d’Avignon, de Toulouse, les royalistes exaltés de nouveau par l’espérance prendront à revers les patriotes en désarroi, qui se replieront de ligne de retraite en ligne de retraite. Mais à travers tous ces enfantillages, il y a un fait grave : que devient la France dans ces calculs ? Elle semble s’évanouir. Barbaroux, Roland, ont une facilité étrange à la concevoir sans Paris. On dirait qu’avec quelques tronçons de Révolution méridionale et quelques îlots de Révolution bretonne, ils s’imaginent refaire la France et la maintenir.

Chose inouïe : il y a un moment, dans le système de Barbaroux, où la France révolutionnaire tient tout entière dans la Corse et dans la Vendée. Pour avoir trop aisément déserté Paris, le cœur toujours chaud de la Révolution et de la patrie, voilà les Girondins réfugiés aux extrémités inertes et glacées. C’est à ce qui est le moins la France, c’est à la Corse à peine annexée d’hier, c’est à la Vendée déjà travaillée par un esprit de séparatisme et d’insurrection, qu’ils demandent le salut suprême. Étrange et dangereuse aberration : car c’était affaiblir la défense que de prendre aussi aisément son parti de la perte de Paris, c’était perdre la France que de se figurer je ne sais quelle survivance de la patrie réduite à quelques fragments épars. Il serait criminel de bâtir sur ce roman d’une heure une accusation sinistre de trahison contre la Gironde ; mais il apparaît, par la facilité de ces rêves dissolvants, qu’elle était incapable de sauver la Révolution et la patrie. On dirait que le cœur de la Gironde ne coïncide pas exactement avec le cœur de la France. À cette heure tragique où toutes les énergies devaient être comme ramassées en un centre, ils s’abandonnent à la dérive au cours incertain de la Loire ou au cours impétueux du Rhône qui fuit vers des rivages lointains. Je ne sais quelle obsession de la patrie locale, et je ne sais aussi quelle vanité des influences locales obscurcissent la notion de la grande patrie menacée. Barbaroux, qui a négocié avec le général Montesquiou, qui compte sur lui, se voit déjà le centre de la résistance dans le Midi, le héros de la France méridionale sauvant, sur les bords du Rhône, la liberté du monde perdue aux bords de la Seine.

Fragiles mais dangereuses chimères ! Mme Roland ne conteste point le sens de ces conversations :

« C’est, écrit-elle, dans le courant de juillet (1792), que, voyant les affaires empirer par la perfidie de la Cour, la marche des troupes étrangères et la faiblesse de l’Assemblée, nous cherchions où pourrait se réfugier la liberté menacée. Nous causions souvent, avec Barbaroux et Servan, de l’excellent esprit du Midi, de l’énergie des départements dans cette partie de la France, et des facilités que présenterait ce local pour y fonder une République si la Cour triomphante venait à subjuguer le Nord et Paris.

« Nous prenions des cartes géographiques ; nous tracions la ligne de démarcation ; Servan étudiait les positions militaires ; on calculait les forces, on examinait la nature et le moyen de reversement des productions ; chacun