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seuil même de la grande Assemblée, les partis révolutionnaires en lutte continuent les défis, les menaces qu’ils échangent depuis le 10 août.

Mais pendant que s’accumulent ainsi, dans l’horizon étroit et ardent de Paris, les électricités contraires, les soldats de la Révolution livrent à la frontière, contre les premiers assauts du despotisme universel, la bataille de la liberté. Longwy avait capitulé ; Verdun, malgré l’héroïque résistance de Beaurepaire, qui s’était suicidé plutôt que de signer la capitulation, s’était livré aussi le 4 septembre. Mais le cœur de la Révolution ne fléchit point.

Est-il vrai que les ministres girondins songèrent en août et septembre à quitter Paris, à transporter au sud de la Loire le conseil exécutif, le roi, la Convention ? Ils eurent évidemment quelques velléités de retraite, ou du moins ils examinèrent cette hypothèse, sans qu’il soit permis de savoir à quel degré ils y entrèrent. C’est en juillet, avant que Roland fût redevenu ministre, que le sujet fut abordé la première fois.

« Un jour, dit Barbaroux, que nous revenions, Rebecqui et moi, des Champs-Elysées, où nous nous étions entretenus de nos projets (contre la royauté), nous rencontrâmes Roland et Lanthenas… Nous les embrassâmes avec transport ; Roland nous témoigna le désir de conférer avec nous sur les malheurs publics ; nous convînmes que je me rendrais chez lui le lendemain, seul, pour échapper aux regards des espions. Je fus exact au rendez-vous. Roland logeait dans une maison de la rue Saint-Jacques, au troisième ; c’était la retraite d’un philosophe ; son épouse fut présente à la conversation et la partagea.

« Ailleurs, je parlerai de cette femme étonnante. Roland me demanda ce que je pensais de la France et des moyens de la sauver ; je lui ouvris mon cœur et ne lui dissimulai rien de mes premières tentatives dans le Midi. Précisément, Servan et lui s’étaient occupés du même plan. Mes confidences amenèrent les siennes. Il me dit que la liberté était perdue si l’on ne déjouait sans retard les complots de la Cour ; que Lafayette paraissait méditer des trahisons au Nord ; que l’armée du centre, toute désorganisée, manquant de toutes les espèces de munitions, ne pouvait empêcher l’ennemi de faire une trouée ; et qu’enfin tout était arrangé pour que les Autrichiens fussent à Paris dans six semaines.

« N’avons-nous donc, ajouta-t-il, travaillé depuis trois ans à la plus belle révolution que pour la voir renverser en un jour ? Si la liberté meurt en France, elle est perdue pour le reste du monde ; toutes les espérances des philosophes sont déçues. La plus cruelle tyrannie pèsera sur la terre… Prévenons ce malheur, armons Paris et les départements du Nord ; ou, s’ils succombent, portons dans le Midi la statue de la Liberté et fondons quelque part une colonie d’hommes indépendants. « Il me disait ces mots et des larmes roulaient dans ses yeux. Le même sentiment faisait couler celles de son épouse et les miennes. Oh ! combien les épanchements de la confiance soulagent les