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Ils craignaient, en prêtant serment à l’égalité, de consentir à un partage égal des fortunes, à ce qu’on appellera bientôt « l’égalité de fait ». Et Clootz ne craint pas d’insinuer que si Longwy et Verdun ont capitulé, c’est parce que la bourgeoisie de ces deux villes s’est sentie menacée par la propagande contre la propriété autant que par les envahisseurs.

Ainsi, à l’Ouest, au Centre, à l’Est, à Bernay, à Reims, à Longwy, même inquiétude, même appréhension.

Il serait enfantin de répéter que la contre-révolution seule est responsable de ces alarmes. Si rétrograde, au fond et en soi, que fût la conception de la loi agraire et du partage, il est naturel qu’à cette époque une partie du peuple, la plus souffrante ou la plus ardente, s’y soit laissé tenter. Malgré la croissance déjà très marquée de la puissance industrielle et mobilière, c’est encore la terre qui apparaissait, si je puis dire, comme la substance de la richesse. C’est par la possession de la terre que l’Église et les nobles, c’est-à-dire les puissances d’hier qui résistaient encore, s’étaient affirmés. La bourgeoisie se précipitait aux ventes des biens nationaux, comme pour confirmer à son tour par la possession du sol sa domination naissante.

Puisque le peuple montait enfin, puisqu’il venait de conquérir le suffrage universel et le droit politique, puisqu’il jouait un rôle décisif, puisqu’il allait créer la République où sa force s’épanouirait, ne devait-il pas, lui aussi, donner, pour ainsi dire, à son pouvoir nouveau la consécration de la terre, marquer, lui aussi, sa souveraineté de ce qui avait été pendant des siècles le signe de la souveraineté nobiliaire et ecclésiastique, et de ce qui devenait le signe de la souveraineté bourgeoise ? Ainsi, fermentaient dans les esprits populaires de vagues pensées où des éléments rétrogrades se mêlaient à des forces d’avenir.

Kéralio croit utile après Clootz, de réfuter encore la loi agraire, dans la Chronique de Paris, de Condorcet, et dans le Patriote français, de Brissot :

« J’ai lu dans quelques papiers publics, que des commissaires se disant envoyés par le pouvoir exécutif et par la Commune de Paris, ont distribué une Déclaration des Droits portant que la nation ne reconnaît que les propriétés industrielles et assure la garantie de ce qu’on appelle faussement propriétés territoriales, jusqu’au moment où elle aura établi des lois sur cet objet. On ne sait ce qui frappe davantage dans cette insolente démarche, ou de l’audace de quelques individus qui, sans mission quelconque du souverain, osent parler en son nom, ou de l’absurdité des projets que cette étrange déclaration parait annoncer, ou du danger des troubles qu’elle pourrait exciter. Il est important de prémunir contre ces pernicieuses maximes, dictées par une profonde ignorance, ou par la plus maligne malveillance, les citoyens dont elles pourraient égarer la bonne foi »

« Ces individus, qui osent s’élever au-dessus du souverain, nous décla-