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et la mort de chaque individu apportera nécessairement une variation qui entraînera la subversion totale de l’État ; mais il est nécessaire (et sans cela point d’égalité ; et sans égalité point de liberté), il est nécessaire qu’on opère un rapprochement dans les fortunes qui détruise le principe vicieux de la prépondérance des riches sur les pauvres.

« Il ne doit pas être permis à un citoyen de posséder plus d’une quantité fixe d’arpents de terre, et quoiqu’il doive paraître singulier peut-être de nous voir placer le grand point de l’instruction publique immédiatement à côté du partage des terres, nous ne trouvons pas inutile d’observer, en passant, que quand vous aurez détruit à la fois la prépondérance des richesses sur l’indigence, et celle du talent sur l’ignorance, cette prépondérance dangereuse, qui est encore aujourd’hui à peu près de cent sur cent se trouvera diminuée dans l’espace de cinq à six ans, dans la proportion de soixante sur cent et ainsi de suite, par succession de temps, jusqu’à une balance dont l’homme industrieux et l’homme éclairé ne pourront jamais abuser.

« Si le peuple était assemblé, et vous ne devez pas oublier que vous n’êtes que subrogés en son lieu et place, il vous dirait, après avoir consommé cette mesure : jusqu’à ce qu’elle ait eu son effet, il y a des hommes pauvres, et ils ne doivent pas souffrir ; car les lois sont essentiellement mauvaises et renferment un principe destructeur s’il y a dans la république un seul individu mécontent et opprimé ; donc jusqu’à l’entière opération de ce nivellement de fortune qui nous unira tous par les mêmes liens, les mêmes besoins naturels et les mêmes jouissances, il faut que celui qui n’a pas quatre cents livres de revenu net ne paie rien, absolument rien en argent ; il acquittera sa dette envers l’État par son travail, par sa consommation, par la défense de ses foyers, par le nombre de ses enfants… Qui subviendra donc aux besoins publics du moment ? Les biens des émigrés vous fourniront une partie des besoins que la guerre a multipliés… La justice vous ordonne encore de lever une contribution extraordinaire sur les ennemis connus de la liberté et de l’égalité, dont les fortunes et les privilèges sont le plus cher trésor… »

Tout cela est bien vague ou bien grossier. Comment, sous quelle forme, par quelle institution se préparera le nivellement prévu des fortunes ? Mystère, et comme conclusion précise, rien que l’exonération d’impôt pour les misérables et un emprunt forcé sur quelques catégories de riches suspects.

Le journal de Carra et le journal de Condorcet s’appliquent plus directement, et non sans véhémence, à critiquer les conceptions de Momoro et la loi agraire. Les Annales patriotiques disent le 19 septembre :

« Depuis le commencement de la Révolution les aristocrates n’ont cessé de parler de la loi agraire ; ce n’est pas qu’ils aient cru qu’elle pût avoir lieu. Ils savent très bien qu’injuste dans son principe elle est impraticable dans l’exécution ; mais ce mot leur a paru propre à jeter dans le peuple des semences de crime et de désordre, ils en ont fait l’épouvantail des proprié-